Hadès et Perséphone

Chapitre 24

« – Non je n'irai pas ! criai-je contre Seth.

– Tu sais très bien que dans ce moment j'ai besoin de toi !

– Arrête ! Ne me fais pas croire que l'Alrithia te touche !

– Bien sûr que ça me touche je ne suis pas inhumain contrairement à ce que tu crois !!

– Mais alors pourquoi la conserver à la fin ?!

– Ah c'est bon j'en ai assez de tes questions !! »

Il quitte ma chambre en claquant la porte. Quant à moi, je prends un des coussins que je plaque contre mon visage pour hurler dedans. Combien de fois lui ai-je répété que je ne voulais pas y aller ?! À chaque fois qu'il me force à assister à l'Alrithia j'ai l'impression que c'est moi qui tue ces femmes, parce que je ne les aide pas... Je reste passive, sur mon siège à côté de Seth, silencieuse et peureuse, les yeux fermés, tandis qu'il me tient la main. Mais ce geste qui lui semble affectueux me rappelle où je suis, et surtout avec qui je me trouve. Je m'allonge, et regarde le plafond. C'est la seule chose qui me calme. J'ai arrêté de compter le nombre de fois que je crie sur Seth. Avec ma grossesse, je suis encore plus irritable. Avant je pleurais tout le temps, mais mes larmes ont laissé place à ma voix, qui hurle jusqu'à l'autre bout du monde. Je relève mon t-shirt, et caresse mon ventre. Ce contact aussi me calme, car cela me rappelle pourquoi je tiens bon, ma famille, Josh, Hayley et le bébé. J'ai encore du mal à me dire que je vais être maman. S'il avait été de Josh, ça aurait été beaucoup plus facile à encaisser, mais ce n'est malheureusement pas le cas. Qui me dit que Seth ne me l'enlèvera pas à la naissance, pour me dominer encore une fois ? Peut-être même qu'il m'interdira de le voir, qui peut savoir. Les pensées de Seth sont impénétrables. Personne n'est capable de lire ce qu'il ressent au plus profond de lui. Il constitue un mystère, une quête, une énigme à lui tout seul. Sa seigneurie prétend m'aimer, mais il ne me parle pas, alors comment pourrai-je le comprendre ?

Je pousse un soupir d'agacement tout en serrant le coussin contre moi, au cas où j'aurais encore envie d'hurler dedans. Seth doit être sur le point de partir pour l'Alrithia, il est bientôt l'heure.

Lorsque la porte de ma chambre s'ouvre, je bascule sur le côté, car je sais qui vient d'entrer. Le visiteur vient s'asseoir sur mon lit, juste à côté de moi, et me caresse le bras. Il se penche vers moi pour murmurer près de mon oreille :

« – Tu es sûre de ne pas vouloir venir ?

Je hoche la tête, incapable de prononcer un seul mot. Alors Seth dépose un baiser sur mon épaule, et se relève tout en disant :

– Très bien, alors pour cette fois je te laisse rester.

– C'est vrai ? demandai-je en me tournant vers lui.

– Oui, dit-il d'un air triste. Je reviendrai tout à l'heure. Par contre tu viendras à la soirée, ça tu n'y échapperas pas. »

Sans attendre ma réponse, il me tourne le dos et quitte la pièce d'un pas lourd. Je pousse un nouveau soupir, mais cette fois-ci de soulagement. Un sentiment d'apaisement me submerge, même si je reste en partie frustrée. Ce n'est pas parce que je n'assiste pas à l'Alrithia que deux femmes ne vont pas mourir aujourd'hui. Je vais rester tranquillement dans mon lit, alors que deux victimes vont mourir... Soudain je me sens...mal et lâche. C'est idiot de penser ça. Je devrais profiter de ma matinée à dormir et me réjouir de cela, mais non. Pourquoi suis-je si étrange ? Je ne peux pas aider ces femmes, mais je peux au moins les soutenir, même si elles ne le sauront jamais. Je ferme les yeux, épuisée de moi-même. Je frappe sur mon lit de rage, et me lève en vitesse pour m'habiller. J'enfile une robe patineuse noire à demi-manches, mi-longue à col en V profond. Au moins, sa seigneurie n'aura pas à se plaindre de ma tenue. Je saute à cloche pieds tout en enfilant mes escarpins, pour atteindre la porte. Mais au moment où j'allais atteindre la poignée, je me souviens que je dois avoir les cheveux un minimum attachés. Seth serait capable de me renvoyer ici pour ça. Alors j'attache quelques mèches de devant, que j'entortille, et fais tenir avec une barrette. Je sors de la maison, et ordonne à un garde de me trouver un chauffeur. Il hoche la tête en signe de respect et court presque pour obéir. Moi qui pensais devoir débattre avec lui pour obtenir cette voiture, finalement il n'y a aucun problème. Mais il met un de ces temps. La cérémonie doit avoir commencé... Je frappe du pied nerveusement, en croisant les bras. Le garde ne revient toujours pas avec mon chauffeur.

« – Oh et puis zut, me dis-je tout bas. »

Je me déchausse et commence à courir pour atteindre la grille. Je l'ouvre, puis traverse l'allée pour rejoindre la Grande muraille. Je me sens complètement folle de vouloir aller là-bas, alors que c'est un de mes pires cauchemars. Et comme si ça ne suffisait pas, j'y vais en courant, non mais sérieusement qu'est-ce que je suis devenue ? Et enceinte en plus ?! Si j'étais arrêtée et pas aussi pressée, je me serais frappée le front depuis un bon moment.

Au bout de cinq minutes de course, j'arrive devant la Grande muraille, complètement essoufflée. Des soldats, gardant l'entrée me fixent avec de grands yeux globuleux, complètement choqués de me trouver ici. Ils se précipitent pour me demander comment je vais, et surtout, qu'est-ce que je fais ici. Sans leur prêter aucune attention, je grimpe les escaliers métalliques, menant à la salle vitrée. Lorsque j'ouvre la porte, tous les regards se braquent en ma direction, hormis celui de Seth qui est focalisé sur l'extérieur. C'est ma respiration bruyante et plaintive qui l'alerte. Il se tourne vers moi, et m'examine de la tête aux pieds, jusqu'à ce qu'un sourire, qui s'accentue de plus en plus, se dresse sur son visage. Il se met à pouffer et rire aux éclats, imité par Nate. Je fronce les sourcils, ne comprenant pas leur réaction. Mes yeux se baissent sur mes jambes, et je laisse échapper un petit gémissement. Je ne saurais comment le décrire tellement il est ridicule. Mes mollets sont couverts de boue, et mes pieds nus, je n'ose même pas en parler. Voilà la source des moqueries de sa seigneurie et de son général. Seth est à deux doigts de tomber de son siège, tellement il rit. Je ne l'ai jamais vu comme ça, en particulier le jour de l'Alrithia. Je me pince les lèvres, et viens m'asseoir à côté de Seth qui ne s'arrête pas de rire. Je lui jette un regard noir, même si je sais que ce n'est pas ça qui le fera arrêter de rire.

« – Mary Stranger. »

La voix du conseiller change complètement l'atmosphère. Les rires de Seth et de Nate cessent complètement, et leurs regards sont rivés sur l'estrade. Cette nouvelle ambiance me frustre encore plus. J'aurais préféré entendre encore le rire désagréable de Seth. Il vaut mieux supporter cela que son regard noir, traduisant la haine et la colère. Ses mains sont en train de broyer les accoudoirs de son fauteuil. Je ne sais pas ce qu'il me prend tout d'un coup, mais je place ma main près de celle de Seth, qui s'empresse de la serrer. Il a besoin de se raccrocher à quelque chose. Ça doit être par habitude que j'ai fais ça. Oui, l'habitude.

« – La prochaine fois que tu veux venir, ne sois pas en retard, dit Seth le regard toujours rivé vers l'estrade. »

Je ne réponds pas à son commentaire. Car mon attention est portée sur les deux jeunes femmes qui dans quelques minutes seront mortes. Je prends une grande inspiration lorsque le soldat charge son arme, pour finalement tirer sur la première, puis la deuxième victime. Cette scène est toujours aussi horrible, inhumaine, effrayante, insupportable et honteuse. Mais au moins j'ai fait mon devoir, soutenir les victimes de l'Alrithia. Je sais qu'un jour tout cela s'arrêtera. Pas tout de suite, j'en ai conscience, mais un jour la ville sera enfin libérée de ce fardeau.

Je me tourne vers Seth, qui est encore absorbé par les corps ensanglantés des deux jeunes femmes.

« – Seth ? On peut y aller maintenant ? demandai-je.

– Heu...oui désolé. C'est vrai que t'as besoin d'une douche toi, ria-t-il finalement. Allez viens. »

Il me tend sa main que j'accepte, puis nous sortons descendre les escaliers, mais je me rends compte que j'ai oublié mes escarpins à l'intérieur. Je lâche la main de Seth pour faire demi-tour, mais des bras me prennent par la taille pour me maintenir en place. Ils finissent par me soulever, et me porter tout en descendant les escaliers. Je m'accroche au cou de Seth, ayant trop peur de tomber.

« – Mais qu'est-ce que tu fais ?! demandai-je affolée. Repose-moi !

– Tu es pieds nus.

– Et alors c'est bon je peux marcher toute seule. Et puis mes escarpins sont à l'intérieur. Je peux aller les chercher.

– Non, répondit-il en souriant.

– Ce n'est pas parce que je suis enceinte que je suis fragile tu sais.

– Même si tu n'étais pas enceinte je t'aurais portée de toute façon.

Mon regard ne quitte pas les pieds de Seth, qui s'applique pour descendre les marches métalliques.

– Ne me laisse pas tomber.

– Jamais je ne ferai ça, dit-il tout bas près de mon oreille. »