Chapitre 3

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Lorsque je me réveille, Josh est déjà reparti chez lui. Lors du contrôle, il devra être dans sa maison. Si les gardes ne le trouvent pas, ils penseront que c'est un espion. Je regarde le réveil, et découvre avec horreur qu'il est déjà huit heures. Plus qu'une heure avant l'Alrithia. Soudain je sens mon cœur battre à tout rompre, et la peur m'envahir. J'ai beau me répéter qu'il n'y a aucun risque que je sois l'élue, je n'arrive pas à me calmer. Être séparée de l'homme que j'aime, de ma famille, de mes amis, je ne supporterai pas cela, et eux non plus. Mais je dois rester forte quoi qu'il arrive, je l'ai promis à mon père. J'ai toujours été la plus audacieuse et têtue de la famille, alors ce n'est pas maintenant que ça va changer. Je me prépare, vêtue d'une robe noire simple aux manches longues, et mes cheveux doivent être lâchés, c'est le règlement. Je descends dans la salle à manger, et trouve Hayley. Elle porte la même robe que moi, et ses longs cheveux châtains sont lâchés.

« – Salut, me dit-elle d'un air triste.

– Comment tu vas ? demandai-je en la prenant dans mes bras.

– Super, on risque toutes les deux d'être tirées au sort pour l'Alrithia, je ne pourrais pas aller mieux, répondit-elle en riant.

– Oui, excuse-moi c'était une question idiote.

– T'en fais pas, j'aurais demandé la même chose.

– T'es anxieuse ?

– Comment ne pas l'être ?

– C'est vrai...

– Souviens-toi de ce que t'as dit Josh. Les chances pour que ça tombe sur nous sont infimes. On sera épargnées ne t'en fais pas.

– J'espère que tu as raison Hayley. »

Je pousse un soupir. Malgré toutes les théories que j'ai pu imaginer je n'arrive pas à trouver de justifications quant à l'instauration de cette règle stupide. Pourquoi sacrifier des jeunes femmes comme ça ? C'est un acte tellement barbare. Nous sortons avec Hayley pour rejoindre la Grande place. Ma famille doit déjà y être. Les gens sont tous rangés par colonnes, comme à l'armée, dans le plus grand des silences. Interdiction de discuter durant cette cérémonie. Je me poste à ma place habituelle, à côté de ma mère. Mon regard dévie vers l'arrière, et j'aperçois Josh un peu plus loin qui me sourit. Le fait de voir son visage me rassure et me donne la force nécessaire pour canaliser mes émotions, qui à ce moment-là sont des plus négatives. Le stress, la haine, l'incompréhension, l'envie de crier au Grand seigneur d'aller se faire foutre, voilà ce que j'ai envie de lâcher. Un membre du conseil s'approche de l'estrade. Il coiffe ses cheveux gris coupés courts, puis se gratte la barbe, avant se repasser son costume. Il finit par se racler la gorge et commence son discours habituel qui est répété et rerépété depuis la nuit des temps.

« – Mes chers amis, je vous souhaite la bienvenue pour une nouvelle cérémonie officielle. Souvenez-vous du temps où nous étions tous vulnérables et sans ressources. Nous étions égarés et craintifs. Mais notre bon Gouverneur nous a montré le chemin, menant vers la paix, la protection et la prospérité. Nous lui devons tellement. Voilà pourquoi ce sacrifice est organisé. Rendons-lui hommage ! »

Je lève le regard vers la muraille située juste derrière l'estrade. C'est là que se trouve le Gouverneur. Dans ce bâtiment suspendu contre la muraille. Les vitres sont teintées, mais je sais qu'il est là, derrière sa protection de verre, à nous observer en souriant. J'aimerais pouvoir le voir, pour lui cracher à la figure tout ce que le peuple pense, même si je dois mourir pour mon audace. Ce que je déteste par-dessus tout c'est ne pas dire ce que je ressens. Rester silencieux pour moi c'est comme si on coupait les ailes d'un oiseau. Il reste cloué au sol à la merci des prédateurs. Le conseiller se retourne vers un soldat qui apporte une boîte en verre où une centaine de papiers sont implacablement bien pliés. Je sens mon cœur prêt à bondir dans ma poitrine, et la main de ma mère serrer la mienne de toutes ses forces. Myriam se ronge les ongles. Je ne l'ai jamais vue aussi anxieuse de toute ma vie. Même lorsqu'elle risquait d'être la potentielle élue, elle ne réagissait pas de cette façon. Elle restait neutre et observait la scène. Le conseiller pioche parmi l'amas de papiers, et en tire un au hasard. Je ferme les yeux, priant pour que mon nom ne soit pas inscrit. Je ne peux pas mourir, ma famille a besoin de moi. Je suis si jeune...comme toutes les autres candidates d'ailleurs.

« – Nicole Houston, prononça le conseiller. »

Je pousse un long soupir de soulagement. Ma mère lâche un sanglot qu'elle a dû canaliser jusqu'à présent. Une jeune femme qui doit avoir vingt ans s'effondre au sol et pleure toutes les larmes de son corps. Des gardes s'approchent, alors que la foule s'écarte pour les laisser passer. Je m'avance pour intervenir, mais ma mère me tient fermement le poignet, comme si elle avait deviné, depuis le moment où le conseiller a ouvert la bouche, mes intentions.

« – Mallory, non, chuchota-t-elle d'une voix ferme. Tu ne peux rien faire pour elle. »

Je me mords la lèvre jusqu'au sang pour évacuer ma rage. Ma mère a raison, c'est peine perdu. La jeune condamnée se débat et crie pour que quelqu'un lui vienne en aide, en vain. Personne n'entend ses plaintes qui me déchirent le cœur.

« - Bien, poursuivit le conseiller, continuons avec la seconde élue.

Il imite les mêmes gestes que lors du premier tirage. Il mélange, empoigne, tire, déplie et lit, avant de prononcer d'une voix forte :

– Mallory Saxe. »

Je manque de tomber au sol. Ma mère lâche une plainte des plus abominables capable de rendre sourde la Terre entière et me prend dans ses bras, alors que moi je ne réagis pas, complètement choquée par ce qu'il vient de se passer. Ce n'est pas possible. Mon nom n'a pas pu être tiré au sort. Je suis en train de rêver, c'est un cauchemar et il suffit de me pincer pour me réveiller. Mais je n'y arrive pas. Pourquoi est-ce que je reste endormie ? Réveille-toi Mallory ! Je t'en supplie réveille-toi.

Je sens une poigne ferme sur chacun de mes bras. Ma mère tente de me retenir, mais des gardes la neutralisent. Josh bouscule la foule pour me rejoindre, et s'attaque à l'un des gardes en le frappant au visage. Deux autres soldats arrivent en renfort pour aider leur collègue et stopper Josh qui n'arrête pas de crier mon nom d'une voix brisée. Je le vois tomber au sol, sous les coups de matraque que lui donnent les soldats. C'est alors que je panique, que je commence à réaliser ce qui est en train de se passer. Ils vont me sacrifier. Je me débats et crie de toutes mes forces, même si je sais que tous ces efforts sont inutiles. Je réussis à me tourner vers ma famille, qui pleure et m'appelle. Ma mère, mon frère et ma sœur, ils m'implorent tous de revenir près d'eux. Je veux les rejoindre, mais je n'y arrive pas. Je donne un violent coup de pied au genou d'un des gardes qui me lâche et frappe l'autre au visage. Je cours vers Josh, qui est à présent au sol, incapable de bouger à cause des nombreux coups qu'il a reçu. Je m'agenouille à ses côtés et l'embrasse.

« – Josh...je t'aime, pleurai-je.

– Ma...llory, réussit-il à articuler. »

Les gardes me reprennent, sauf que cette fois-ci, ils sont quatre. Je crie de nouveau en leur ordonnant de me lâcher, mais ils restent neutres et m'entraînent vers l'estrade. C'est donc aujourd'hui que jevais mourir. Je viens à peine d'avoir dix-huit ans et je suis déjàcondamnée ? Ça ne peut pas m'arriver. Ma famille, elle a besoin de moi. Mamère ne supportera pas mon départ. Mon frère et ma sœur seront anéantis parcette tragédie. Mon père n'aurait jamais souhaité ça pour ses enfants. Il estparti si vite, et voilà que je suis son exemple. Pourquoi mon destin m'a-t-ilréservé un si triste sort ? J'ai encore tellement de choses à prouver, àaccomplir... Soudain tous mes espoirs s'envolent. Je les vois prendre de lahauteur, comme si ils étaient des oiseaux et s'en allaient vers de nouveauxhorizons. Peut-être le Paradis qui sait... C'est sans doute là que mon esprit iraaussi. Au moins je retrouverai mon père, mes grands-parents et toutes lesvictimes de l'Alrithia. Mais je nepeux pas mourir comme ça. J'ai des projets, des rêves. Tout ce que je me suisimaginée durant toutes ces années s'efface peu à peu de ma mémoire. Me marier, habiter avec Josh, avec des enfants, et des petits-enfants, tout celas'effondre au fur et à mesure que je me rapproche de l'estrade. À présent jecomprends que tous mes projets ne sont que des rêves, des illusions qui ne seréaliseront jamais. Maintenant je sais ce que cela signifie voire sa viedéfiler devant ses yeux. Car moi, Mallory Saxe, je suis condamnée, à devenir àmon tour une victime de l'Alrithia.

Hadès et PerséphoneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant