Hiver de débauche

Eclat final

Une fois qu'il eut atteint la porte d'entrée du cimetière, il avança pour pénétrer dans ce lieu qui renfermait les sépultures de ses aïeuls. Sans passer par quatre chemins, il avança jusqu'à la tombe de celle qu'il aimait et haïssait le plus en ce monde. Elle qui n'était plus. Elle qui était réduite à un souvenir. Elle qui n'était plus qu'un corps piégé dans un cercueil qui se trouvait six pieds sous terre. Elle ne vivait plus depuis bien longtemps et n'était plus depuis déjà onze ans. Ceci lui faisait un effet curieusement bizarre. Il éprouvait une étrange impression de déjà-vu. Comme si le Destin de celle qui se trouvait sous ses pieds était étroitement lié au sien. Néanmoins, il ne voulait pas périr. Il était encore en train d'exister, alors pourquoi devrait-il cesser d'exister ? Pourquoi devait-il subir ce courroux qui provenait d'une créature qu'il ne voyait ni n'entendait ? Pourquoi les choses ne s'étaient-elles pas améliorées après le trépas du lutin ? Il se mit à hurler violemment :

« Pourquoi ? Pourquoi ??? ».

Seul le silence lui répondit. En même temps, il était seul dans une terre remplie de cadavre. Rien ne viendrait lui répondre dans ce lieu désert où ne régnait que la mort. Il se mit à rire. Il éclata d'un rire franc et désabusé qui aurait pu réveiller tous ceux qui dormaient dans cet endroit dépeuplé de vie. Oui, il riait car il se sentait stupide. Débile même. Qu'espérait-il en venant sur ce domaine ? S'attendait-il à trouver une réponse ? Pensait-il réellement que l'écho du silence pesant du clair de lune réussirait à lui donner toutes les réponses dont il avait besoin ? S'il le pensait réellement, c'était qu'il n'avait plus son esprit. Qu'il n'avait plus toute sa tête. Qu'il n'était plus vraiment lui. Que ce n'était rien qu'un spectre que la mort ne voulait pas recueillir et qui se trouvait égaré. Il ne savait pas vraiment ce qu'il faisait là. Il n'avait pas calculé son itinéraire, il n'avait pas regardé devant lui quand il marchait. Il ignorait tout du chemin qu'il emprunterait. Pourtant, il savait que si la mort ne venait pas le cueillir, ce serait la folie qui viendrait le hanter.

Et elle avait déjà commencé ce travail en le poussant à repartir sur ce terrain où se trouvait son berceau familial. C'était grâce à eux qu'il vivait, ou à cause d'eux, il n'en avait jamais été sûr. Mais voilà qu'il se mettait à parler à des morts dans l'espoir de recevoir une quelconque réponse. Il était devenu fou à lier et personne n'était là pour le sauver. Une fois encore, il se retrouvait seul. Face à face à ses démons intérieurs, il devait mener cette lutte sans aucune aide extérieure. S'il voulait avoir une chance de survivre à cette folie qui avait presque envahi tout son être, il devait se battre un minimum pour s'en extirper. Et personne d'autre que lui ne viendrait le secourir. Il était noyé dans une marée noire de problèmes et il n'avait aucune solution pour s'en sortir. Il avait dû faire cela depuis sa plus tendre enfance. Pourquoi cela devrait changer aujourd'hui ?

Il se contenta donc de regarder droit devant lui. Qu'avait-il espéré en venant ici ? Il y avait certainement une raison pour que son subconscient l'eût amené ici...Mais laquelle ? En quoi ce funeste endroit pouvait-il lui apporter un quelconque support ? Il soupira en s'asseyant devant la tombe de sa sœur jumelle après avoir écarté les fleurs et autres présents. Un froid glacial régnait en cette nuit de décembre, mais il s'en moquait. Le sol enneigé ne l'empêcha pas de s'assoir en tailleur comme s'il s'agissait d'un siège fait en soie. Une fois qu'il fut installé devant cette pierre tombale, ses prunelles, perdues, se posèrent sur l'épitaphe de celle qu'il n'avait pas pu secourir. Au fond de lui, il regrettait de ne pas avoir su la sauver. Si elle était encore en vie, tout aurait été différent. Et il ne serait pas là ce soir. Il serait plutôt chez lui à profiter d'un moment familial avec ceux qu'il aurait mieux appréciés. Elle les aurait radoucis et tous ces conflits n'auraient sûrement jamais existé. Et dans cette autre réalité, il envierait sa vie et non sa mort. Hélas, il avait échoué et enduré une suite effarante de déceptions.