Obsession

• CHAPITRE DEUX •

Ses mots n'ont de cesse de raisonner dans mon esprit. Comment ça virée ? Je n'ai même pas eu le temps de commencer ! Tandis que je divague dans tous les sens dans l'unique but de trouver une rapide solution à cela, mon téléphone se met à sonner.

MR. JONES

Tu as malgré tout encore réussi à te mettre dans un sacré pétrin... Ne me fais plus honte.

Bonjour à toi également très cher père. Son attitude froide et glaciale ne m'atteint plus vraiment depuis que j'ai passé l'âge d'idéaliser le milieu familial. Je demeure convaincue à l'idée que seule ma propre réussite m'apportera bonheur et satisfaction personnelle. À quoi bon baigner dans des illusions insensées si celles-ci ne vous permettent pas d'avancer ? À rien. Voilà l'unique réponse que j'apporte à cette question et grâce à laquelle je peux remercier mon père d'être aussi imbu de lui-même.

Je prends alors une grande inspiration et frappe plus fort que je ne l'aurais voulu à la porte du bureau de Monsieur Arnault. Celui-ci s'approche à grandes enjambées, ouvre les rideaux et s'assoit face à ses dossiers sans même m'inviter à entrer.

Je m'apprête à sortir mon cahier de croquis lorsque je me rends compte que mon sac est vide... Je me remémore soudainement le message d'Alda concernant la pochette oubliée sur la table de son appartement. Je suis vraiment une cruche.

Monsieur Arnault ne semble cependant pas avoir aperçu mon trouble et, une fois qu'il eut terminé sa lecture, attarde un regard insistant sur ma personne. J'ai l'impression que mes jambes ne vont pas pouvoir me maintenir quelques minutes de plus.

- Vous savez Mademoiselle, ce n'est pas parce que vous êtes la fille de Monsieur Jones que cela signifie que vous êtes faites pour un tel travail. Connaissez-vous le nombre de candidatures que nous avons ici ? Le nombre est gargantuesque et ce, rien que dans l'espoir d'obtenir un stage n'attribuant que la tâche de faire des cafés à longueur de journée.

Il prend une longue inspiration, met ses lunettes en place et s'apprête à continuer lorsque quelqu'un entre dans son bureau.

- Bonjour Monsieur Arnault, je me présente : Sam Miller. Nous nous sommes parlés au téléphone il y a quelques jours de cela.

- Ah oui... Entrez donc jeune homme. Je n'en ai plus pour très longtemps.

Tout ce dont je désire en ce moment même est de me cacher entre deux armoires de son bureau. Je n'en ai plus pour très longtemps ou dans son jargon : Chloé va déguerpir d'ici trois secondes car son incompétence me sidère. Comment vais-je expliquer cela à mon père ?

L'homme qui vient d'entrer fait preuve d'une élégance ainsi que d'une assurance sans nom. Sa coiffure, son costume et même ses chaussures sont éclatants. Je le détaille de la tête aux pieds l'espace de quelques instants avant que celui-ci attarde son regard sur moi. Les paroles du directeur me font toutefois revenir à la réalité.

- Bien Mademoiselle, je pense que nous en avons terminé.

J'approuve d'un signe de tête et m'apprête à sortir la queue basse mais celui-ci reprend :

- Votre bureau vous attends à l'étage en-dessous, prononce-t-il tout en me tendant quelques dossiers. Vous vous occuperez de ceci avant de vous atteler au travail qui vous attends déjà. Vous n'êtes pas encore sorti d'affaire, que ce soit bien claire.

Et voilà l'avantage d'être celle que je suis. Cela m'apporte du bon, parfois, comme lorsque mon côté de jeune incompétente dans le monde du travail fait surface. Je trouve cependant ce genre de situation agaçante. Personne ne me voit pour celle que je suis réellement mais tout le monde me voit à travers qui m'a conçu. Sauf que je ne suis pas mon père et je ne désirerai jamais l'être ou tout du moins pas sur le plan personnel.

Je le remercie d'un hochement de tête tout en le saluant poliment afin de laisser place à l'homme venant d'entrer.

Avant d'aller découvrir mes locaux, je m'assois l'espace d'un instant afin de reprendre l'air que mes poumons réclament. Des centaines de questions viennent à moi. Suis-je vraiment faite pour cela ? L'écriture, le dessin sont deux passions qui se sont toujours offertes à moi grâce à ma mère. C'est elle qui m'a transmis le goût de l'art mais vais-je réellement réussir à atteindre mes rêves les plus chers, soit reprendre la place de mon père ?

L'héritage semble être si simple dans les films mais le travail nous mène à l'expérience qui, elle-même, nous permet de développer des qualités dignes des plus grands. Peut-être que mon cœur est trop pur pour ce genre de chose, peut-être que la seule option s'offrant à moi serait d'imiter le comportement de mon père.

- Mademoiselle ? Ne devriez-vous pas vous mettre au travail ?, me questionne une voix familière.

Je lève les yeux et découvre l'homme qui s'est présenté à moi quelques instants auparavant. Son sourire en coin me déstabilise. Il semble si sûr de lui que n'importe qui se sentirait mal à l'aise en sa présence.

- J'avais besoin de m'aérer l'esprit. Vous êtes ?

- Sam Miller, le nouveau directeur de la maison. Georges Arnault prend sa retraite. Je suis donc théoriquement votre nouveau patron, de quoi vous permettre de repartir à zéro, prononce-t-il dans un petit rire. Donnez-moi donc ces dossiers. Vous en avez déjà qui vous attendent sur votre bureau.

Dieu qu'il est sexy. Et gentil qui plus est. Ses dents sont d'un blanc aussi pur que sa chemise. Je dois admettre que travailler en sa compagnie me réjouit d'avance.

- Quand vous aurez terminé de me fixer de cette façon, je vous prierais de vous lever et d'aller occuper votre poste.

Je me lève d'un bond et lui sers la main afin de conclure les présentations avant de me diriger vers l'ascenseur.

- Et vous êtes ?, demande-t-il avant que les portes ne se ferment sur moi.

- Chloé Jones, j'effectue un stage de trois mois en alternance avant de retourner à l'ESMOD. Bonne journée.

Son regard s'assombrit en même temps que sa mâchoire se contracte nerveusement lorsqu'il conclut :

- Appelez-moi Monsieur Miller lorsque vous vous adressez à votre patron.