L'année dernière, Emma Rosewood avait fait la couverture du magazine Time. Le monde du cinéma semblait raffoler d'elle et celle-ci savait y faire. Elle faisait passer le moindre réalisateur pour un pur génie. Et ce soir, elle incarnerait le visage de notre défilé : celui d'une femme intemporelle dont tout le monde admire la beauté. Car oui, ce qui intéressait la Maison n'était pas la personne qui se cachait réellement derrière ce visage d'ange à la chevelure d'or encadrant le tout, mais son élégance naturelle faisant tourner la tête de l'ensemble de l'équipe présente en coulisse. Il fallait vraiment que j'intervienne. Tout devait être parfait : chaque seconde s'avère alors plus que précieuse.
- Un instant s'il vous plaît. Tout le monde doit réaliser la tâche lui étant attribuée comme indiqué sur le planning. Merci de ne pas vous laisser distraire car il ne nous reste qu'une vingtaine de minutes avant d'ouvrir le bal, prononcé-je assez fort afin que tout le monde m'écoute d'une oreille attentive.
Je m'apprêtais à m'emparer du pinceau d'une des maquilleuses afin de rectifier le tir de ce qui allait tourner à la catastrophe, lorsque qu'une main vient m'interrompre en se posant délicatement sur mon épaule nue.
- Merci, commence à chuchoter Emma Rosewood. Je ne sais même pas qui doit s'occuper des retouches de ma robe avec toutes ces interruptions.
L'espace d'un instant, je n'ose me retourner tandis que je commence à me rendre compte que cette tâche m'a été attribuée. Je reste figée sur place, profondément gênée par mon manque certain d'organisation.
- Mademoiselle ?, me questionne-t-elle impatiente.
- Oui, pardonnez-moi ! Je m'occupe immédiatement de vous, Madame Rosewood, réponds-je tout en me retournant de façon plus vive que je ne m'en croyais capable.
La tenue qu'elle porte lui sied divinement bien. Une robe satinée blanche parcours délicatement ses courbes. Une veste noire aux manches bouffantes épouse parfaitement le tissu situé en-dessous. Des bottines noires et brillantes de la même couleur viennent compléter le tableau. Je reste là un instant, le souffle court face à tant de simplicité qui se combine toutefois avec beaucoup d'élégance. Je songe alors à mon projet et au travail qu'il me reste à accomplir. Mon stage empiète tellement sur mon travail personnel en ce moment que je commence à réaliser à quel point j'ai pu, encore une fois, me laisser guider par mon habituelle désorganisation. Peut-être qu'un autre facteur entre également dans la balance... Il faut dire que mes pensées ont été légèrement détournées de leur but depuis ma rentrée.
Je prends toutefois une grande inspiration afin de m'atteler à la tâche qui m'attend. Je regarde alors le livre photos afin de vérifier qu'aucun élément ne manque à cet ensemble mais ma concentration me fait défaut. Mes yeux se ferment automatiquement à chaque fois que je désire focaliser tout mon attention sur la célébrité se tenant face à moi. Son expression commence à refléter de l'impatience et cela ne me plait guère. Je me remémore soudainement l'adjectif qu'avait employé Sam à son égard : « capricieuse ». Je me relève instantanément afin de lui présenter mes plus plates excuses quant à mon manque de professionnalisme quand, tout-à-coup, le café qu'elle ne tenait pas dans ses mains quelques secondes auparavant percute violemment ma tête, se versant dans son intégralité sur la robe de notre égérie.
- Merde, merde, merde et re-merde, marmonné-je bien plus qu'honteuse. Je suis tellement désolée, je vais arranger...
- Donnez-moi votre robe, me coupe-t-elle subitement.
Je reste sans voix face à cette réplique. Elle n'est absolument pas comme Sam l'a décrite, c'est d'ailleurs tout le contraire. Cette femme arbore un immense sourire malgré tout le tort que je viens de causer. Cela a le don de me rassurer mais je suis loin d'être sortie d'affaire. Tous les regards sont désormais braqués sur la gravité de la bêtise que je viens de commettre. Si mon patron venait à l'apprendre... Non ! Je ne peux pas me laisser abattre. Je vais lui donner cette fichue robe...
- Qu'attendez-vous ?, prononce-t-elle toute excitée. Le tenue que j'avais, manquait de... vivacité. Alors que celle-ci est parfaite.
Elle pointe la création que je porte en ce moment même du doigt, ses yeux bleus reflétant une lueur de malice. Je baisse alors le regard. Il faut dire que je ne me souviens même plus de ce que j'ai bien pu enfiler ce soir étant donné que j'ai dû tirer Alda jusque sous la douche afin de lui rendre l'allure qu'elle arbore d'habitude plus que fièrement.
Oh non.
Je réalise rapidement que ce que je porte en ce moment même n'est rien d'autre que l'une de mes premières robes. La technique est loin d'être bien maîtrisée mais celle-ci a l'avantage de marquer les esprits de sa couleur rouge passion, laissant apparaitre de fines bretelles encadrant mon dos nu. Je ne peux tout simplement pas faire cela ! J'y laisserais mon stage et surtout, ce n'est pas une création de la maison Jones.
- Fais-le, me surpris une voix masculine que je crus un bref instant être l'objet de mon imagination. C'était comme si mon propre inconscient me soufflait de saisir cette opportunité.
Matt apparait devant moi, vêtu d'une chemise en coton blanc. Il est vrai qu'un peu de couleurs ne feraient pas de mal à ce mauvais décor reconstituant l'image que l'on pourrait se faire du paradis...
Reprends tes esprits Chloé, tu ne peux pas faire cela.
Je dois à tout prix faire la part des choses entre saisir une opportunité et m'immiscer dans quelque chose de trop grand pour moi, pour le moment.
Mon collègue m'entraine presque de force derrière l'un des rideaux se trouvant à nos côtés. Il me questionne du regard, celui-ci semblant silencieusement me dire : as-tu réellement le choix ? Mais aussi plein d'espoir, comme pour me dire de saisir ma chance. Je ne sais si l'irréalisme de la scène ou les quatre paires d'yeux insistant pour que je le fasse ont pris possession de mon esprit mais je me mis machinalement à me déshabiller tout en prenant soin d'enfiler le peignoir présent sur un tabouret.
Emma Rosewood a quémandé une de mes propres créations ! Et j'hésite à lui donner ? Mais quel genre d'idiote pourrais-je bien être pour refuser une telle offre.
- Je n'ai que très rarement eu l'occasion de porter une telle robe, s'extasie-t-elle tout en s'admirant dans le miroir. Vous m'avez rendu service avec ce café, conclut-elle dans un léger rire.
La musique d'ouverture retentit alors. Il est trop tard, je ne peux plus revenir en arrière. Et j'ai la désagréable sensation d'avoir commis une grosse erreur.
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Obsession
RomanceChloé incarne l'archétype même de la travailleuse obstinée. Jeune, ambitieuse et passionnée, tout la promet à un avenir radieux. De Los Angeles en passant par Paris, elle espère exceller dans ses études afin d'arriver à la tête d'une des plus grande...