Cela fait environ six heures que je n'ai pas bougé de ma place et plus d'une centaine de minutes que ma vessie risque d'exploser d'une minute à l'autre. Sam n'a pas cillé de la pièce dans laquelle il s'était enfermé. Je n'ai alors tout simplement pas osé m'aventurer dans ce temple spécial Miller, au risque d'y trouver quelques anciens stagiaires accrochés au mur, tels des trophées de ses nombreuses victoires. L'avantage est que j'ai toutefois pu m'occuper du quart de la montagne de paperasses qui m'a été attribuée en fin de matinée. S'il pensait que j'étais incapable de suivre les résultats de l'équipe commerciale du dernier semestre, il sera vite déçu.
- C'est tout ce dont tu as pu t'occuper ?, s'indigne Sam en sortant enfin de sa caverne.
J'aurais dû m'en douter. Je ne sais toutefois si je dois considérer cela comme de la taquinerie ou l'estimer, lui, comme un éternel insatisfait.
- Tu n'aurais pas fait mieux, rétorqué-je afin de rentrer dans son jeu.
Les sourcils de ce dernier se froncent un instant lorsqu'il prend appui avec désinvolture contre l'îlot de la cuisine. Outre les plis naissant autour de ses yeux, son visage n'exprime aucune émotion particulière. Sa peau légèrement matte est si lisse que l'on pourrait croire que se cache un véritable trésor sous ce visage d'ange. Mais rien n'y fait, je ne peux m'empêcher de penser à l'aide de quelle manière je vais bien pouvoir résoudre l'énigme qui régit la moindre des actions qu'il parvient à contrôler avec une aisance remarquable.
- Qu'aimerais-tu que je te fasse, Chloé ?
À ces paroles, je lâche soudainement le stylo que je tenais entre mes doigts. Je relève la tête afin de tenter de le regarder en face mais cela s'avère bien plus difficile que je n'aurais pu le croire. Mes pensées se dissimulent dans un épais brouillard et mon ventre fait instantanément des siennes. Mon corps réagit bien trop facilement, et, malgré le fait qu'il ne semble pas l'avoir remarqué, j'ai à ce moment précis l'impression d'avoir un panneau lumineux au-dessus de la tête indiquant « Elle te trouve aussi indécent que sexy ».
- Pardon ?, bafouillé-je nerveusement.
Dès lors, mon patron étouffe un léger rire. En m'intéressant à lui de plus près, je remarque que celui-ci est dos à moi, la main droite sur le haut de la porte ouverte du réfrigérateur. Non mais dîtes-moi que je le fais exprès et que mon cerveau ne me joue pas sans cesse des tours !
Il se tourne vers moi et, tout en pointant du doigt la nourriture derrière lui, articule lentement la question qu'il m'avait posé quelques secondes plus tôt. Je le regarde en souriant poliment, essayant tant bien que mal de dissimuler ma gêne. Je hausse les épaules l'air penaude, essayant d'enfouir les petites cases de ma conscience mal placée dans une armoire fermée à double tours. Il s'empare ainsi d'une salade et de toute sorte d'ingrédients pouvant l'agrémenter.
Je remarque alors une photo posée au coin de la table sur laquelle j'ai travaillé toute la journée. Je ne reviens pas d'avoir été aussi happée par le travail de Sam, au point de mettre de côté mon sens de l'observation. Une femme à la chevelure rousse flamboyante arbore un sourire révélant des dents bien plus blanche que d'accoutumance. Ses tâches de rousseurs sont éparpillées le long de ses pommettes, jusqu'à la naissance de ses tempes. Dans ses bras se trouvent un nouveau-né enveloppé d'un drap blanc et dont un couvre-chef de la même couleur repose sur sa tête.
- Tu es sur cette photo ?, le questionné-je tandis qu'il s'était emparé d'une planche à découper pour les oignons.
Ce dernier ne relève même pas les yeux et met de longues secondes à me répondre. Ses traits n'ont toujours pas bougé d'un cil. Décidément, la protection qu'il présente si souvent ressemble davantage à un cylindre de fer qu'à une simple carapace.
- Je ne me souviens pas avoir eu des cheveux aussi longs et roux dans ce cas, réplique-t-il l'air sarcastique, ce qui a le don de me faire immédiatement sourire.
- Si nous devons collaborer ensemble le temps d'une semaine, ce serait peut-être légèrement plus facile si nous nous connaissions plus amplement non ?
- Si toutes mes collaboratrices pouvaient être aussi attirantes que toi, elles auraient d'ores et déjà une chambre à leur disposition, dit-il tout en suspendant son activité.
Je cesse d'écrire l'espace d'une minute afin de concentrer mon attention sur ses yeux émeraudes scrutant le moindre de mes mouvements. Sa bouche est légèrement entrouverte, laissant ainsi percevoir l'extrémité de sa dentition parfaitement alignée et aussi blanche que celle de la femme que je suppose être sa mère sur la photographie. Au vue de son torse se relevant plus rapidement que d'habitude, je peux en déduire que son coeur bat au rythme du mien. Bien que je sache pertinemment à qui j'ai affaire, je ne peux m'empêcher de mentalement détruire toutes les barrières morales pouvant s'être érigées entre lui et moi lorsque j'ai su qui il était. Tout ce que mon corps désire en ce moment même est de se trouver contre le sien, comme hier, lorsque l'électricité était à son paroxysme mais que les murs nous séparant demeuraient encore bien trop présents.
- Tu sais, je ne t'ai pas ramené ici dans un but précis hier soir, prononce-t-il comme s'il savait ce à quoi je pense à en ce moment même. J'ai dû te porter jusque sur le siège passager de ma voiture et lorsque je t'ai secoué pour te réveiller, tu ne laissais paraitre que de vagues ronchonnements.
Je me tape automatiquement la paume de la main sur le front, sans pour autant m'empêcher de lui sourire pleinement.
- Je suis vraiment désolée mais je ne me souviens de rien.
- Pas même du regard noir que tu m'as lancé lorsqu'une jolie blonde m'a approché ?, rit-il à présent à gorge déployée.
À ces mots, mon teint vire automatiquement au rouge écarlate. En effet... Ce souvenir me revient brutalement en mémoire, tel un marteau frappant d'un coup brut et soudain sur un clou. Et cette fois-ci, je sens les paroles assassines de mon interlocuteur frapper sur la mauvaise manie que j'ai eu de l'épier.
- Touchée... Mais n'était-ce pas toi qui me fixais intensément lorsque je dansais ?
- Coulé, réplique-t-il sans nier en bloc ma précédente affirmation.
Son téléphone se met soudainement à sonner. Il s'en empare et quitte sans plus attendre la pièce dans laquelle nous nous trouvons. L'air commençait de toute façon à devenir oppressant. Il revient aussitôt tout en déposant une serviette de douche face à moi.
- Prépare-toi Jones, on part dans deux heures.
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Obsession
RomanceChloé incarne l'archétype même de la travailleuse obstinée. Jeune, ambitieuse et passionnée, tout la promet à un avenir radieux. De Los Angeles en passant par Paris, elle espère exceller dans ses études afin d'arriver à la tête d'une des plus grande...