L'image d'un modèle parfait partant en fumée contrecarre tous mes plans. Rien, ni personne, ne pourra à présent changer cela. La vérité est que la vie nous balance ses inepties en pleine figure sans pour autant nous offrir la commande de retour en arrière dans son menu. Non, ici bas, rien n'est programmé. Nous naissons simplement tout en sachant que seul le côté sombre nous attend au bout du tunnel. La première réaction des nouveaux-nés, celle de pleurer, justifie sûrement le fait que la lumière ne nous apporte pas toujours une bonne nouvelle, bien que celle-ci soit paradoxalement indispensable à la vie.
La nuit tombe sur la plage de Santa Monica alors que le fond sonore constant jurerait pourtant du contraire. Les pieds dans l'eau, je constate les ombres défiler sur la jetée. Vues de loin, ces dernières semblent à l'abris de tout danger potentiel. Si je m'approchais toutefois dans le but de me faufiler dans cette masse anonyme, la barrière de protection que crée ma vision à cette distance s'effondrerait immédiatement. Comme si à trop s'approcher de la réalité, nous nous risquerions au même sort qu'Icare.
- Salut, prononce soudainement Sam, me donner un léger coup d'épaule, les mains enfoncées dans les poches de son jean's.
Sa tenue diffère complètement de d'habitude, lui donnant un air de ce fait beaucoup moins sérieux. Peu importe son style, je dois bien admettre que sa présence me fait tout simplement du bien. Autrement, la seule envie m'animant serait de m'enterrer dans le sable déjà bien piétiné et de ne laisser qu'une simple et unique paille dépasser afin de m'accorder un peu d'air frais sous une couverture bien trop étouffante.
- Écoute Chloé, je sais que tu ne veux pas d'excuses supplémentaires après tout ce que tu as enduré. Je me contenterais donc simplement de te dire que je ne suis qu'un con. Un con qui a réagit comme je l'ai fait, pensant te protéger...
- Tu étais au courant ?
Il faut dire qu'à ce stade, plus rien n'est susceptible de m'étonner. Pas même s'il advenait qu'un hologramme de ma mère apparaisse soudainement pour me dire : j'ai toujours été là, je ne suis jamais partie !
- Pas avant que ma mère ne me mette au courant, répond-t-il presque avant que je n'eus terminé ma phrase. Il n'appréciait pas ne pas avoir le monopole du pouvoir. Ton père ne lui a jamais accordé une seule chance en tant que futur potentiel héritier alors disons qu'il s'est vengé à sa façon. Il espérait seulement l'atteindre par le biais d'Alda, sachant que tu donnerais corps et âme pour elle. Il faut croire que tu es la clef de tous les interdits, Jones.
Ce détail pourtant fondamental m'avait échappé. Bien que mon père n'ait pas adopté Matt, ce dernier devrait toutefois recevoir une partie de l'héritage ayant appartenu à ma mère en tant que fils légitime. Cela signifie donc que je ne suis à ce titre plus la seule héritière de l'entreprise.
Je jette alors un furtif coup d'oeil en direction de Sam scrutant mes moindres mouvements comme s'il s'attendait à ce que j'explose d'une minute à l'autre. Je me sens toutefois si dépassée et en même temps si loin de toute cette agitation qu'aucune réaction agressive ne dicte ne serait-ce qu'une infime parcelle de mes pensées. J'ai, au contraire, l'étrange impression d'avoir finalement obtenu tout ce que mon inconscient avait toujours désiré. Mon unique objectif était de marcher sur les traces de ma mère. L'homme qui se tient devant moi m'a pourtant appris que prendre des risques permettaient d'inévitablement construire la personne que chacun voulait profondément être.
- Mais si ça peut te rassurer, commence-t-il doucement. Je ne suis pas ton frère, donc...
Je souris bêtement à cette remarque, lui donnant un vague coup de la main qu'il intercepte afin de la garder appuyée contre son torse. Bien que cette situation est loin de me rendre joyeuse, je ne peux nier que les événements demeurent plus supportables à ses côtés. L'agitation se faisant autour de nous a à présent perdu toute mon intention. L'unique anxiété que je ressens est celle que je perçois dans son regard humide.
- Donc ?, murmuré-je lentement, mes lèvres se rapprochant des siennes.
- Tu m'as tellement manqué Chloé, prononce-t-il tout en plaçant son front contre le mien. Si tu savais à quel point j'aimerais remonter le temps afin de remettre nos compteurs à zéro et irradier tes doutes. Je me comporterais enfin comme celui que tu mérites, celui qui partagerais les fardeaux s'étant installés sur tes épaules pour t'aider à avancer. Je ne me comporterai plus comme un sale égoïste qui ne perçoit les choses qu'à travers les hautes responsabilités et l'argent. Tu m'as appris à voir à travers toi, à accepter qui je suis et à ne pas tout canaliser sur une activité sans aucun sens avant que tu ne t'y interposes. Tu occupes mes pensées jour et nuit mais...
Il s'arrête soudainement, inspirant l'air marin comme pour s'imprégner de l'instant. Les mouvements de va-et-vient de l'eau caressent délicatement mes chevilles découvertes, laissant la brise s'infiltrer dans le tissu virevoltant de ma robe. Sentir son corps contre le mien est cependant la seule chose dont chaque sensation m'apparait comme une bénédiction.
- Mais je ne veux plus avoir à t'imaginer. Je te veux à mes côtés jour et nuit, dans le meilleur comme dans le pire. Je te veux pour canaliser tes peurs, pour que apaises les miennes mais aussi pour te chérir chaque minute que j'aurai la chance de passer à tes côtés. Je t'aime comme je n'ai jamais eu la chance d'aimer personne, dit-il finalement.
Ses mains se posent alors délicatement sur les deux extrémités de mon visage, entrainant ce dernier contre le sien jusqu'à ce que nos bouches s'effleurent. La douceur de notre baiser est semblable à celle de ses derniers mots. Le désir que j'éprouve pour lui se mêle maintenant à l'admiration considérable que je lui porte. Cette journée s'avère finalement être l'une des meilleures de mon existence.
- Je t'aime Sam.
Nous sommes toutefois bien loin de la vérité. Je ne l'aime pas, non. Je suis amoureuse de lui et ce depuis bien plus longtemps que je ne voudrais jamais l'admettre. J'ai vu en lui celle qui demeure en moi mais qui n'a jamais pu s'exprimer telle qu'elle était réellement, trop bridée par une vie emplie d'absence et de faux-semblants.
Que gagne-t-on à exprimer sa rage si ce n'est le mépris de celui qui ne vous donnera pas ce pour quoi vous travaillez pourtant d'arrache-pieds ?
Mais maintenant qu'il est à mes côtés, aussi sincère qu'il ne l'a probablement jamais été, je me sens enfin prête à poursuivre mes propres rêves et non ceux que je pensais que l'on attendait de moi. J'avais faux sur toute la ligne. Sam Miller est venu renverser toutes mes convictions et je me suis enfin rendue compte à quel point j'ai pu me montrer bornée. Ma vie ne se résumera plus jamais aussi matériellement que peut la percevoir mes parents mais aux envies qui m'animent réellement, que celles-ci soient ou non jugées. Le sens de tout ce pour quoi je me suis toujours battue se tient enfin devant moi, dans la façon qu'il a de me regarder comme si sa vie était d'ores et déjà accomplie.
- Oui bon, arrête de me regarder comme ça maintenant, déclare-t-il soudainement.
- Je me demandais aussi où était donc passé l'enfant Miller que j'apprécie tant !, ris-je à gorge déployée.
- C'est à prendre ou à laisser, déclare-t-il tout en me bousculant dans l'eau.
Je l'attire alors dans ma chute, son corps percutant le mien dans un infini vacarme attirant l'attention de la famille passant devant nous. Leurs regards accusateurs ne nous font que rire de plus belle car au final, la seule personne me faisant sentir aussi légère que désirée est l'homme dont le sourire évoque l'état d'épanouissement réciproque dans lequel je me trouve.
- Pour toujours, Monsieur Miller.
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Obsession
RomansaChloé incarne l'archétype même de la travailleuse obstinée. Jeune, ambitieuse et passionnée, tout la promet à un avenir radieux. De Los Angeles en passant par Paris, elle espère exceller dans ses études afin d'arriver à la tête d'une des plus grande...