Cela faisait maintenant trois ans que je ne l'avais pas vu. Il m'appelait évidemment de temps à autre mais uniquement pour me reprocher telle ou telle chose qui ne lui convenait apparement en rien. Et ce soir, il se tenait face à une centaine de personnes aux visages faussement heureux : les hommes d'affaire les plus influents du moment, des stars de cinéma ou encore quelques mannequins se tenant à côté de toute cette foule respirant l'argent à plein nez. Cela ne m'étonne guère : voilà ce qui pousse mon géniteur à faire ce qu'il fait. Il n'est ici ni question de passion, ni d'enthousiasme mais bien des chèques qu'il reçoit tous les mois. Mais évidemment, sans cela, je ne serais pas là non plus. Disons que c'est un mal pour un bien. C'est également une des raisons pour lesquelles je tiens absolument à reprendre l'affaire familiale : je suis convaincue qu'en plus de mon travail, le réel plaisir que je prends à faire cela me rendra bien plus heureuse que je ne l'ai jamais été et m'apportera davantage de bonheur que lui, n'a jamais cherché à me donner.
- Bienvenue à toutes et à tous à cette soirée de charité pour le cancer du sein. Je tiens tout d'abord à vous remercier de vous être déplacés jusqu'ici pour une occasion qui me tiens particulièrement à coeur... Comme vous le savez, mon épouse est décédée de cette maladie il y a maintenant dix ans et quoi de mieux qu'honorer sa mémoire en soutenant l'avancée des recherches afin d'améliorer les traitements ?
Je sens tout-à-coup les larmes me monter aux yeux. Comment a-t-il pu oser se servir d'elle de cette façon ? Je trouve sa manière de procéder si injuste. Elle était exceptionnelle et ne mérite sûrement pas, même aujourd'hui, une telle utilisation de sa maladie. J'ai toujours été déçue de l'absence de mon père mais là, il dépasse les bornes. Tout n'est vraiment que question d'image avec lui. Son coeur de pierre l'aveugle de toute réelle sensibilité. C'est selon moi la pire chose qu'il puisse arriver à quelqu'un : perdre la notion des valeurs qu'il cultivait autrefois pour son profit personnel.
Je sors de la salle avec rage. Mon instinct me dicte d'éviter toute scène. Je ne me sens de toute façon pas à ma place au milieu de cette hypocrisie constante. Des inconnus m'appellent par mon prénom, une horde de rapaces se réunit pour soit-disant participer à une bonne cause ne servant en réalité qu'à se montrer, à persister pour entretenir ses relations. Tout cela m'écoeure au plus haut point et mon incompréhension plonge mes pensées rationnelles dans un néant total.
- Chloé ? Qu'est-ce qu'il se passe ?, accoure une voix bien trop familière vers moi. Ce n'est vraiment pas le moment Monsieur...
- Tu peux m'appeler Sam, rétorque-t-il immédiatement comme s'il avait compris la colère que je ressens, au son de ma voix.
Je lui souris mécaniquement avant de reporter mon regard sur le sable fin parcourant le dessous de mes jambes. Je suis fatiguée de toujours devoir prendre sur moi. La solitude est un vilain sentiment qui m'a toujours habité. Le fait de ne pas voir ma famille me permet au moins de ma focaliser sur l'essentiel mais tout est ruiné concernant ce soir. Je ne veux parler à personne.
- Je ne connais pas la relation que tu entretiens avec ton père mais j'en déduis qu'elle n'est pas à son point culminant..., commence-t-il, un soupçon de délicatesse dans le grain de sa voix. J'ai beau paraître rigide aux premiers abords mais je sais reconnaitre la souffrance habitant quelqu'un. Je ne suis pas un monstre.
Il marque une courte pause tout en posant ses yeux sur moi. Il s'assoit alors à mes côtes et agrippe une poignée de sable avant de se frotter avidement les mains en marmonnant :
- C'est dégueulasse.
Je l'observe à mon tour en émettant un petit rire. Il ne pourra donc jamais cacher son sale caractère. J'ai l'impression de me voir lorsque je ne peux m'empêcher de dire ce qui me tourmente et cette vision est rassurante. Je ne suis donc pas la seule à devoir apprendre à tourner sa langue deux fois dans sa bouche avant de dire quoi que ce soit.
- Je trouve plutôt ça agréable. L'océan chante par-dessus le brouhaha des convives et personne ne vient nous emmerder. Ils sont tous occupés à lécher les bottes de mon père.
- Tu sembles vraiment en colère. Qu'est-ce qu'il s'est passé au juste ?, me questionne-t-il le regard perdu dans le vague.
Je décide toutefois de ne pas répondre. Dévoiler ma vie personnelle à mon supérieur ne fait pas partie de mes plans. En temps que Jones, on m'a toujours appris à me méfier de qui que ce soit. J'ai toujours avancé seule et ce n'est pas aujourd'hui que je vais avoir besoin d'un quelconque psychanalyste. Alda et Harley sont déjà là pour moi et c'est tout ce qui compte à mes yeux.
Je m'allonge alors dans le sable que l'humidité a déjà recouvert de son épais voile. Je me fiche de ma coiffure, de ma tenue. Tout ce que je désire en ce moment même, est de m'échapper de la cohorte se situant encore à quelques mètres de moi. L'avantage de posséder un esprit créatif est qu'il me permet d'organiser de soudaines évasions sans que personne ne puissent s'en rendre compte.
Attentif à la chair de poule parcourant mon corps, Sam hôte sa veste afin de me couvrir. Je me redresse et entoure précipitamment mes épaules, sans pour autant le remercier de vive voix. Mon regard remplace toute parole, jusqu'à ce que celui-ci s'attarde sur ses lèvres.
Elles sont pulpeuses et à ce moment précis, légèrement entrouvertes. Nos regards se croisent alors attentivement. Soudainement, un bruit de porte fend l'air et des voix diffusent un son aigüe, traduisant l'ivresse qui les accompagne. Au même moment, l'air frais rafraîchit mes joues aussi vite que celles-ci s'étaient rosies.
Je me lève brutalement et rentre en direction de l'hôtel.
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Obsession
RomanceChloé incarne l'archétype même de la travailleuse obstinée. Jeune, ambitieuse et passionnée, tout la promet à un avenir radieux. De Los Angeles en passant par Paris, elle espère exceller dans ses études afin d'arriver à la tête d'une des plus grande...