• CHAPITRE VINGT-HUIT •

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En l'espace d'un mois, un seul homme a réussi à transformer mes croyances en illusions

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En l'espace d'un mois, un seul homme a réussi à transformer mes croyances en illusions. Le semblant d'univers dans lequel celui-ci m'a plongé s'est tout bonnement précipité dans un monde d'hypocrisie propre à tout ce que je déteste. Je ne ressens même plus l'envie d'écouter ses dires sur ce qu'il s'est réellement passé dans son esprit si étriqué pour parvenir à faire une telle chose. Ses dernières paroles restent cependant en suspens dans ma tête. La douleur de son enfance n'est certes en rien comparable à la mienne mais l'existence de cette petite voix nous dictant de tout de même avancer nous donne un point commun... Est-ce le seul qui n'ait jamais existé entre nous ?

- Tu vas bien ?, me souffle Alda en observant mon air dépité.

J'acquiesce lentement sans pour autant le penser réellement. La situation n'est de toute manière pas propice à cela et ma meilleure n'a pas besoin de l'entendre pour le comprendre. Les circonstances demeurent si pesantes qu'il faut absolument que j'y trouve une échappatoire.

Rappelle-toi Chloé, ne reste pas focalisée sur tes petits problèmes.

- Je suppose que tu n'es plus avec Harvey à en croire ta présence ici, tenté-je dans l'espoir de ne pas toucher un point trop sensible.

- Pour tout te dire, il est parti du jour au lendemain sans laisser aucune de ses affaires dans l'appartement lorsqu'il a appris pour Matt, dit-elle en haussant les épaules, l'air mélancolique.

Étonnement, celle-ci semble davantage préoccupée par le sort de celui que nous attendons de voir que par son ancien petit-ami. Moi qui pensais que l'amour pouvait commettre d'irréversibles dégâts, il faut croire que chacun gère sa fin d'une façon différente. Pour ma part, mon premier et seul amour m'a laissé quelques temps pantoises, au point que je vivais tel un ours dans ma petite grotte. C'est à partir de cet instant que j'ai commencé à passer mon temps dans l'appartement d'Alda et Harvey. Ce dernier ne se gênait d'ailleurs pas de constamment me rappeler à quel point je pouvais être envahissante. Je n'ai jamais eu une réelle occasion de lui dire qu'il ne finirait pas sa vie avec elle. Ils restent jeunes et je constatais bien que, ces derniers temps, Alda s'en rendait davantage compte que lui. Mais qui suis-je pour donner mon opinion sur ce plan ? L'amour est parfois synonyme de heureux hasard.

- Je n'étais de toute façon pas très proche de lui, la taquiné-je doucement.

Cette dernière me donne alors un léger coup d'épaule tout en affichant un sourire. J'aurais au moins eu le mérite de lui faire retrouver quelque peu de joie.

- Arrête un peu... Vous étiez comme chien et chat, prononce-t-elle. Deux petits enfants que je me devais d'éduquer !

Elle n'a pas tort sur ce point. Nous nous cherchions beaucoup Harvey et moi mais nous nous apprécions à notre manière. Cependant, il était avant tout le petit copain de mon amie et je n'éprouvais pas spécialement de grande attache envers lui. La figure paternelle à laquelle j'ai eu droit a déjà fait bien trop de dégâts pour que je prenne le risque de voir quelqu'un d'autre s'éloigner de moi. Je me suis alors toujours dit qu'un jour, je devrai tout simplement réparer les dégâts qu'il causerait en achevant leur histoire. Je me suis donc cantonnée à ce rôle sans broncher.

- Il me manque terriblement tu sais. Mais Matt est un homme si gentil que je n'ai pas su lui dire qu'il n'y aurait pas de prochaine fois. Je me sens sexy, confiante et surtout indépendante en sa compagnie. Je n'ai plus ce sentiment d'être confinée dans une relation que j'entretiens depuis mes quinze ans. Cinq ans, à notre âge, c'est énorme ! J'aime Harvey de tout mon coeur mais je ne peux pas lui en vouloir d'avoir choisi de se protéger plutôt que de devoir affronter mes propres bêtises. Alors disons que c'est comme ça, dit-elle en fixant ses doigts qu'elle entrecroise depuis que je suis revenue.

Je suis admirative de la façon dont elle prend les choses. Cette fille est tellement forte et ses idées toujours lucides. Elle ne prend jamais la peine de laisser le cheminement de sa pensée broyer du noir. Tout ce que je souhaite est la réconforter en disant que tout allait s'arranger, qu'il allait revenir et que ses sentiments nouveaux pour Matt finiraient par se tasser mais je préfère me raviser. Après tout, je n'en savais rien. La vie ne nous transmet aucun indice quant au futur qui nous attend. On peut se retrouver fou de joie un jour et dévasté le lendemain. Alors au lieu de l'abreuver de paroles dignes d'un conte de fées, je me contente de la prendre dans mes bras comme elle sait si bien le faire lorsque j'en ai besoin.

- Les visites pour Monsieur Miller vont bientôt se terminer mesdemoiselles, il a besoin de se reposer. Vous feriez mieux d'aller le voir maintenant, nous informe le médecin.

- Y a-t-il quelque chose à signer avant de partir ?, questionne Alda, une pointe d'inquiétude dans le son de sa voix.

- Son frère s'en est chargé, conclut-il un sourire aux lèvres tout en nous indiquant la chambre dans laquelle Matt se trouve.

En arrivant face à cette dernière, la seule crainte me submergeant est celle de croiser Sam. Mon cœur s'emballe à cette simple pensée. À ma grande surprise, la pièce se trouve vidée de tout potentiel visiteur. Mon amie s'empresse alors de s'emparer de la main de l'homme allongé sur un lit d'un blanc immaculé. Son teint est d'une pâleur effrayante, tandis que deux tuyaux pénètrent son nez afin de faciliter sa respiration. Mes yeux se couvrent instantanément d'un épais voile face à cette image déroutante.

L'espace d'un instant, je m'entrevois enfant, agenouillée au sol tout comme Alda l'est, observant ma mère pleine d'espoir. Je m'accrochais à l'image d'une femme si forte que je pensais que rien ne pouvait lui arriver. Évidemment, je ne comprenais pas la gravité de la situation à cet âge. Bien que la couleur de sa peau était aussi clair que celle de mon collègue en ce moment même, aucun signal de m'alarmait. Mon mécanisme de défense s'était emparé de tout jugement rationnel dans le but de me plonger dans un brouillard de souvenirs positifs. Ceux que je gardais d'un parent s'élevant par sa beauté, son intelligence mais également son courage.

Comment une personne telle que je la connaissais pouvait-elle partir aussi facilement ? Plus tard, j'appris que son cancer avait été diagnostiqué des années après son apparition et en était déjà à son stade quatre. Malgré toute la combativité du monde ainsi que ses sourires permanents destinés à me rassurer, elle n'aurait toutefois pu contrôler l'incontrôlable. L'image d'héroïne que je pouvais avoir a alors laissé place à celle d'une guerrière immortelle. Je pense que sans cela, je n'aurais pu tenir le coup comme j'ai réussi à le faire.

Cette scène me fait cependant prendre conscience que mon problème était bien plus profond que cela. Toutes ces émotions refoulées n'ont à la longue eu qu'un irréversible impact. Je me pousse sans cesse à travailler avec acharnement non pas pour poursuivre le rêve de ma mère mais plutôt pour oublier à quel point je souffre.

L'espace d'un instant, je crois entrevoir de façon imminente l'entêtement dont j'ai su faire preuve face à mes sentiments. Depuis son décès, une seule personne a réellement su me détourner de ce pour quoi j'ai toujours voulu continuer à affronter la vie avec autant d'acharnement. Je me rends alors compte que tout ne se passera pas comme je l'avais planifié du haut de mon jeune âge. Le discours d'Alda m'a permis de réaliser à quel point nos plans ne se déroulaient jamais comme nous l'avions prévu. Quoique je fasse, quoique je pense, tout me ramène à Sam Miller.

Et pour la première fois de ma vie, je reste effrayée quant à ce que je pourrais bien impunément commettre, sans aucun contrôle.

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