Le narrème (1)

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Narrème selon Roland Barthes: il faut un fait, une cause et un personnage.

Au choix, deux incipit:

1-Un homme, la soixantaine, sort ou pas de chez lui, temps qu'il fait (météo).

2-Une femme à la longue chevelure se promenait sur la colline, un chien qui aboie.

J'ai choisi le premier incipit.

Un homme vêtu misérablement, un blouson bien trop léger pour le froid ambiant, descend dans la rue, pantoufles aux pieds. Il commence à arpenter les trottoirs, l'air hagard. Les vitrines éclairées dans cette fin de journée l'éblouissent. Des halos lumineux et colorés se déplacent sur sa rétine et le déséquilibrent comme si il était sous l'emprise de l'alcool. Il marche et marche. Il ne reconnaît rien. Il entend un appel, il se retourne, mais ce n'est pas à lui qu'on s'adresse. Les gens le dépassent, le bousculent même. Il est emporté par le mouvement de la foule qui ignore sa présence. Il remonte son col, il a froid. Il songe qu'il aurait dû mettre une [... ?] Ça va revenir, il a pris l'habitude de ces manques de mots qui le terrassent. Il se sent un étranger pour lui-même. Il essaie de se rappeler son identité. Deux mots lui reviennent en mémoire: papy Georges. Papy? <<Suis-je donc grand-père?>> se demande-t-il. 

Il marche et marche. Il traverse les rues encombrées par les passants. Pourquoi tant de monde? Il se sent très seul, mais c'est avec lui-même qu'il est le plus solitaire. Ah, il se souvient de son âge: soixante-huit ans. On a fêté son anniversaire il y a peu de temps. On, qui? Ses enfants? Mais il ne sait plus combien il en a. Son cœur a gardé le souvenir de la chaleur dont il a été entouré à cette occasion.

Il continue son errance, son ambulation. Mais il ne sait pas pourquoi il est là, dehors. Où voulait-il se rendre? Il traverse aux feux tricolores. <<Le bonhomme vert>> lui dit une petite voix d'enfant dans sa tête. Au carrefour, il se sent perdu. A droite ou à gauche? Un agent de la voie publique vient à lui et lui parle. Il ne comprend pas bien ce qu'il lui dit. Les mots s'envolent avec le vent de cette froide soirée. Il murmure un <<merci>>. Sa mémoire est nue. Ses souvenirs sont grignotés un à un. Il erre dans ce monde austère comme une âme en peine. Il est bien tard ce soir pour se remémorer son histoire, peut-être déjà trop tard pour conserver l'espoir de se retrouver lui-même.

Il s'arrête devant un vendeur ambulant de marrons chauds. L'odeur lui dit qu'il aime en manger. Il fouille dans ses poches à la recherche de quelques pièces et s'achète un cornet de marrons. Leur chaleur se transmet à ses doigts engourdis et gelés. Son corps s'apaise. Il est maintenant arrivé devant un immeuble. Il examine stoïque, non plutôt perplexe, les noms indiqués sur l'interphone. <<Sally>>, il lui semble connaître ce prénom. Ah oui, sa petite Sally, sa fille adorée. Il sourit en lui-même. Il vient de remporter une victoire contre le mal qui le ronge et l'annihile. Il se rappelle: le médecin a prononcé le terrible diagnostic de maladie d'Alzheimer.

Sa mémoire se vide peu à peu. Combien de temps encore? <<Georges>>, il faut qu'il le note dans un carnet. Dans une poche de sa veste, ses doigts rencontrent un objet: un petit calepin, sa mémoire de secours. A la lumière du réverbère, il lit tout ce qu'il essaie de se remémorer depuis le début.

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