Le narrème (3)

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Suite de la nouvelle intitulée: le narrème (1)

Georges insiste, il sonne à nouveau. Il compte sur sa chance. Sally est réveillée par le carillon de l'interphone. Elle se lève mi-endormie, mi-chancelante. Dans la chambre du bébé, des pleurs se font entendre.

<<Oui? demande-t-elle d'une voix mal assurée.

--C'est papa.. enfin, je crois>> répond-il.

Sally ouvre le portail. Georges s'y engouffre comme s'il était dans une chasse au trésor, avide de trouver un lieu qui l'accueille où il pourra enfin se poser. Il monte quatre à quatre les marches. Il a toujours eu horreur des ascenseurs. Il est surpris d'avoir une telle forme physique. Il ne se sent pas essoufflé. Il respire la vie à pleins poumons; Il entre dans l'appartement de sa fille. Il aperçoit au fond de la pièce principale le petit canapé qui lui tend les bras et lui rappelle des souvenirs. Sa femme Yvette et lui l'avaient offert en cadeau de mariage à Sally. C'est loin déjà, lui semble-t-il. Depuis, sa fille a divorcé, s'est remise en couple avec un homme rencontré sur les lieux de son travail, a eu un enfant avec lui et s'est séparé rapidement. Georges pense, mais ne dit rien, qu'elle est instable en amour. Combien de temps est-il resté marié à sa chère et défunte Yvette? C'est le grand trou noir. Il n'ose pas poser la question à sa fille, pas à cette heure tardive de la nuit. 

Il ne sait pas expliquer sa présence. Rompre sa solitude, sans doute, s'échapper de son vide existentiel. Pourquoi continue-t-il cette route semée de cases vides? Il est chez sa fille et il n'a pas encore prononcé un mot. Il sent ou il croit qu'il dérange. Les pleurs du bébé se font plus insistants. Sally va dans la chambre le consoler. Georges s'allonge sur le divan et regarde le plafond blanc, blanc comme sa mémoire.

Pourquoi peint-on toujours les plafonds en blanc? se demande-t-il. Et pourquoi pas? lui répond une petite voix dans sa tête. Le blanc ne signifie pas uniquement le vide, ce peut être aussi du trop plein. J'ai la mémoire trop pleine qui déborde, songe Georges. Ça doit être cela l'explication. Il faudra que je soumette cette hypothèse à mon neurologue, lui qui croit tout savoir de ce mal pernicieux qui m'atteint.

<<Papa, veux-tu boire quelque chose? lui demande soudain sa fille, le bébé rendormi.

--Pardonne-moi mon intrusion en pleine nuit, j'avais besoin de sortir et mes pas m'ont guidé jusque chez toi, lui explique Georges.

--Ce n'est pas grave, papa, répond Sally compatissante, tu es toujours le bienvenu ici, tu sais. Et demain, je suis en congés. Je vais te faire un chocolat chaud>>.

Elle part dans la cuisine s'affairer et crie à son père de sortir un duvet qu'il trouvera dans le placard du couloir. Lorsqu'elle revient dans la salle, il est endormi, un sourire aux lèvres. Elle le recouvre avec le duvet pour qu'il n'attrape pas froid. Elle repart se coucher, soucieuse du devenir de son père.

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