Le narrème (épilogue)

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Georges se sent soudain bien vieux. Les années passent et pèsent doublement. Il a un flash qui l'éblouit et le perturbe. Il entrevoit un long corridor blanc avec des portes de chaque côté, toutes fermées. Il entend des cris, des râles et des pleurs. Une porte claque et le silence se fait. La porte s'ouvre à nouveau et une personne vêtue d'une blouse blanche et portant un plateau en métal s'éloigne dans le couloir. Georges est tétanisé. Hugo a lâché sa tétine et se met à pleurer.

<<Papa, ça va? demande Sally inquiète.

--Oui, oui>> se reprend-il.

Il pose enfin la question qui lui brûle les lèvres depuis son réveil:

<<Quel est ton prénom? J'ai compris que tu étais ma fille mais je ne me rappelle pas ton prénom. Je suis désolé, explique-t-il.

--Sally, papa, éclate-t-elle en sanglots et Hugo est mon bébé. Tu es grand-père. Oh mon dieu! Ce n'est pas possible! Prends-tu bien tes médicaments?>> interroge-t-elle.

Georges est partagé entre le désir de lui avouer à quel point son état de santé se dégrade de jour en jour et l'envie de la rassurer, la sentant angoissée.

<<Oui, excuse-moi, j'ai eu une absence passagère. La gélule que j'ai prise tout à l'heure n'a pas encore fait son effet. Je suis un peu dans le brouillard. Ça va aller. Je te remercie pour ton accueil. Je vais rentrer chez moi. Mistigri doit avoir faim, lui explique-t-il.

--Mais papa, tu n'as plus de chat depuis dix ans maintenant! Je vais te raccompagner. C'est plus prudent>> déclare-t-elle.

Georges acquiesce. Il se laisse porter par cette jeune femme qui semble très mûre. Il descend les escaliers tandis qu'elle prend l'ascenseur avec son petit. Elle est garée sur le parking. Ils n'ont pas loin à marcher. Heureusement pour lui, elle ne l'interroge pas sur la destination à prendre. Elle le dépose au bas d'un immeuble. Il fouille dans ses poches et trouve un trousseau de clés indiquant le numéro quarante huit. Il l'embrasse, dépose un baiser sur le front de l'enfant et entre dans la résidence. Il regarde les noms sur les boîtes aux lettres. Un seul Georges et c'est bien au quarante huit au premier étage. Il monte lentement les escaliers, alourdi par le poids de la vacuité de sa mémoire. Il entre chez lui.

Oui, c'est bien chez lui. Dans la cuisine, sur le sol, une gamelle est remplie de croquettes. Il appelle Mistigri mais aucun miaulement ne lui répond. Il se souvient. Sa fille lui a dit qu'il n'avait plus de chat. Alors, il ouvre la poubelle et jette les croquettes. Il range dans le placard sous l'évier l'ustensile qui ne sert à rien.

Demain, il sait qu'il devra faire face à de nouvelles questions et y trouver les réponses seul. Combler les lacunes est devenu son emploi à plein temps.

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