Palimpseste du conte précédent <<Il était une fois>>

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Réécrire le conte dans le monde moderne. La magie a disparu.

Je vais vous parler d'une soirée d'hiver qui fut particulièrement longue et éprouvante mais riche en surprises.

Le ciel était couvert, la pluie tombait en un crachin et de surcroît le vent qui soufflait était à glacer les os. La pauvresse n'était vêtue que de haillons légers et se hâtait à la recherche d'un endroit pour l'abriter. La lumière avait presque complètement décliné et la nuit faisait son apparition, porteuse d'ombres et de silhouettes inquiétantes. La jeune fille s'engagea dans une ruelle déserte, une impasse en fait. Au bout de la rue, dans cet îlot de HLM, il y avait une porte cochère dont la serrure et la poignée étaient rongées par la rouille. Elle cogna plusieurs petits coups à la porte. Elle était épuisée et ses doigts étaient engourdis par le froid.

Quelqu'un ouvrit la porte. C'était un petit homme bossu qui lui rappela Quasimodo dans notre Dame de Paris, un film qu'elle avait vu quand elle séjournait encore au foyer d'accueil pour sans-abris. De ses propres parents, elle ne gardait comme souvenir que les coups qu'ils lui assénaient lorsqu'ils avaient abusé de la bouteille de mauvais vin, habitude qui les avait menés à la tombe précocement. L'inconnu cligna des yeux et ébaucha un sourire qui ressemblait à une fermeture éclair lui barrant le visage. L'orpheline s'enquit de l'adresse, craignant de s'être égarée. 5 rue du palais, c'était bien là. Quelle ironie, cette appellation, lorsqu'on regardait attentivement les alentours. Partout les poubelles étaient éventrées. Les chats cherchaient leur maigre pitance parmi les restes de nourriture, les déchets. La ruelle était plus sale qu'une porcherie. Un cochon eût refusé d'y vivre si on lui avait demandé son avis.

Le bossu la laissa entrer, sans doute par pitié pour cette jeune fille qui grelottait de tous ses membres. Elle le suivit dans le long corridor à peine éclairé et remarqua que les murs étaient recouverts de vieilles affiches, publicités du cinéma en noir et blanc. Une affiche, cependant, représentait un magnifique loup blanc. Le petit homme tenait une bougie de la main gauche, la main droite était enveloppée dans un bandage crasseux. La pauvresse avait l'esprit empli de questions. Au foyer, on lui avait remis un petit bout de papier avec cette adresse en lui assurant qu'elle y trouverait de l'aide mais surtout un couvert et un lit.

De chaque côté du corridor étaient des portes closes, des chambres ? se demanda-t-elle. Elle suivit le bossu dans l'escalier dont les marches en bois étaient vermoulues et accéda à l'unique étage de cette masure très singulière. Au fond du nouveau couloir qu'ils traversèrent, une faible lueur filtrait par une lucarne couverte de toiles d'araignées. La jeune fille frissonna, elle avait la phobie des araignées. Elle pria tout bas pour que sa chambre ne fût pas envahie par ces hôtes indésirables. Le petit homme sortit un trousseau de clés et ouvrit la dernière porte. La pièce était contre toute attente claire et propre. L'ameublement était certes monacal mais il y avait le nécessaire et le suffisant : un lit, une table de chevet avec une jolie lampe qui lui parut un peu luxueuse dans ce décor, sans doute l'objet d'un larcin. Il y avait même un petit lavabo. Elle ne savait rien de l'activité des personnes qui occupaient les autres chambres. Peut-être les croiserait-elle au petit matin. Elle pensa au livre qu'on lui avait prêté au foyer : Oliver Twist, et se demanda si elle était tombée dans un repaire de voleurs ou dans un foyer d'errants comme elle.

Le bossu lui adressa enfin la parole. Sa voix avait une tonalité vibrant dans les aigus et était chevrotante. <<Te voilà chez toi>> lui dit-il simplement. Elle voulut le prévenir qu'elle n'avait pas d'argent mais il posa un doigt sur ses lèvres, l'invitant à ne rien dire. Il la laissa seule dans sa chambre. Elle en referma la porte. Elle testa le lit. Le matelas était assez usagé mais il était malgré tout encore confortable. Elle se dirigea vers la fenêtre. Dehors le vent était maintenant devenu cinglant et les papiers volaient de toutes parts. Elle avait vue sur l'arrière-cour où était posé négligemment contre un mur un vieux vélo dont les pneus étaient à plat. La rouille, là aussi, avait œuvré. Elle se promit d'essayer de le réparer si son propriétaire ne se manifestait pas. Elle repensa au bossu et à sa main bandée. Elle se dit qu'avec ses quelques connaissances en premiers soins qu'elle avait acquises au foyer, elle pouvait peut-être tenter de voir l'état de sa blessure et lui apporter un soulagement. Elle regagna le rez-de-chaussée. Elle ignorait où il logeait mais il ne devait pas être difficile à trouver. Elle s'aperçut qu'ils n'avaient pas échangé leurs identités. Visiblement, l'anonymat était la règle dans cette maison étrange.

Le petit homme qui avait entendu son pas pourtant léger s'avança à sa rencontre. Elle lui prit sans dire un mot sa main blessée et ôta la bande souillée. Dessous était une entaille assez large mais peu profonde. Elle trouva un peu de savon et entreprit de lui nettoyer la main. Avec un morceau de torchon qui traînait dans ce qui devait être la cuisine, elle lui enveloppa la main. Le bossu la remercia d'un sourire. Elle lui fit ainsi un pansement propre tous les jours qui suivirent jusqu'à cicatrisation de la plaie.

Son dévouement brisa le silence dans lequel s'était emmuré le petit homme et ils apprirent à se connaître avec peu de mots.

Epilogue

Dix ans plus tard, le bossu mourut d'une tuberculose pulmonaire mal soignée. La jeune fille qui lui avait porté secours lors de leur rencontre initiale le veilla affectueusement jusqu'à son dernier souffle et fit tout pour atténuer ses souffrances. Il ferma les yeux en lui offrant son plus beau sourire.

La jeune femme s'occupa désormais des sans-abris qui venaient cogner à la porte comme elle, elle l'avait fait dans le passé. Elle ne prit jamais de compagnon car elle se sentait veuve de celui auquel elle avait donné son affection et sa tendresse pendant ces dix dernières années écoulées. Elle se dévoua sans compter pour les oubliés et les écartés de la société.

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