<<Si un inconnu vous aborde>> (5)

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Consigne: Ce qui se passe arrivée à destination. Echange avec la personne.

J'ai enfin repéré le kiosque <<Relay>>. Un homme de grande taille y fait les cents pas devant. C'est mon rendez-vous. Je m'approche de lui et avant que je n'aie eu le temps de dire quelque chose, il me demande :<<C'est vous qui venez de la part de Jean ?>>. Je lui dis que je ne connais pas l'identité de son ami et je lui remets le sac. Il l'ouvre fébrilement. Il en sort un carnet, comme un journal intime. Il l'ouvre, commence à lire et ses joues s'inondent de larmes très rapidement. Je lui propose d'aller s'asseoir dans un endroit calme à l'abri des regards. Il me semble très choqué. Il me remercie pour ma sollicitude. Après en avoir fini la lecture, il me tend le carnet et me dit que je peux lire si je veux, que je suis le messager après tout et qu'il a envie de partager avec moi ce moment de détresse. Il me sent pleine d'empathie et non une inconnue quelconque. Je rétorque que c'est certainement intime et que ça me gêne mais il réplique que cet échange est important pour lui.

Je lis donc les pages écrites joliment à la main au stylo plume.

<<Mon cher Pierre, mon amour, mon amant

Je te livre mon journal intime. C'est les larmes aux yeux que je te fais mes adieux. Pardonne ma lâcheté. Je n'aurais pas pu cacher mon émotion en pleine foule. Les gens sont si méchants et intolérants à la différence. La jeune femme qui te transmettra le sac est une belle personne, je n'en doute pas.

Lundi 10 février 2019

Une houle de chagrin m'étreint la poitrine et je suffoque presque. Je suis accablé à l'idée de devoir me séparer de toi. Emma a découvert notre liaison et elle n'a pas apprécié, tu peux t'en douter. Je reste avec elle pour notre petite Alice qui ne comprendrait pas que son père l'abandonne. En réalité, il ne s'agit pas tant de cet appartement que nous partagions lors de nos rencontres cachées dont je suis obligé de résilier le bail de location. C'est surtout que tu ne seras plus là avec moi. Cependant, tant que je demeurerai entre ces murs, je te percevrai dans chacune des pièces, lors de chaque trajet que j'effectuerai, les jours d'été abrutissants et les maussades soirées d'hiver, au point que je pourrai croire que tu me surveilles, que tu sais tout de moi, chaque émotion qui me traverse.
Je te perçois dans chaque bouleversement d'air, chaque odeur. Je te ressens dans ces ombres qui flattent mes humeurs. Une voix lointaine m'affirme que tu es toujours à mes côtés. Tu reviens. Il ne s'agit que d'un cauchemar. Un matin, je m'éveillerai et tu seras là. Tes yeux bleus me fixeront et tes longs doigts me caresseront. Je sentirai à nouveau ta chaleur, ta peau, la forme parfaite de tes muscles si familière lorsque tu me serres contre toi. Et je serai en vie comme je le fus. Je n'aurai pas à déménager dans un lieu déjà mort où d'autres fragments de moi se faneront centimètre par centimètre, cellule après cellule.
Je scotche les cartons. Dans cet air saturé d'humidité, j'ai presque l'impression que ton haleine me caresse le cou. Je me sens vide, aspiré par le gouffre mais le lourd martèlement de la pluie m'apaise. Je crois que je vais pleurer. La sueur me pique les yeux.Je pourrais fermer la fenêtre mais je veux entendre la pluie parce que c'est la dernière fois que je l'entendrai de cette façon, à cet endroit. Non pour moi, la pluie, ce n'est plus la pluie.

Mardi 11 février 2019

Je t'offre comme cadeau ce poème que j'ai écrit avec mes larmes et mon cœur. Si tu savais à quel point, je t'aime, Pierre. Jamais mon amour pour toi ne s'éteindra. Peut-être la vie nous accordera-t-elle une seconde chance. Je veux y croire. C'est ma prière.

Ô mon Amour, Ô mon chéri
Avec toi, tout est douceur, calme et harmonie,
Une tendre sensation qui invite à la rêverie.
Ce que je ressens pour toi
Est indescriptible, rempli d'émois.
Sais-tu combien notre séparation va me détruire ?
Je n'entends plus ta voix,
Cette voix qui résonne en moi
Et me fait m'abandonner en toi.
Je ne vois plus ton regard bleu intense
Qui fait vaciller mes sens.
Je t'écris des poèmes
Pour te dire à quel point je t'aime,
Pour te savoir radieux
Magnifique et heureux.
J'aime lorsque tu me murmures des mots d'amour
Qui me font la promesse d'un toujours.
Mais la vie en a décidé autrement.
Tes caresses sublimes de sensualité
Auxquelles je ne pouvais résister
Vont me manquer terriblement.
Notre destin est le chagrin.
En ce jour, j'en fais mien.

Je cesse de lire après ce poème car je suis moi aussi émue aux larmes devant un si bel amour rendu impossible par les vicissitudes de la vie.

<<Accepteriez-vous de transmettre un message à Jean ? Me demande Pierre, encore bouleversé.

--Oui, bien sûr, mais il ne m'a laissé aucun numéro de téléphone ou adresse où le joindre, je reprends.

--Je vais vous communiquer le lieu de son travail. Ainsi vous pourrez le rencontrer en toute discrétion sans éveiller les soupçons de sa femme, me répond-il.

--Entendu, j'acquiesce.

--Voilà, je me doutais de ce qu'il avait à m'annoncer. Alors j'ai préparé un petit courrier de quelques lignes. Lisez-le et donnez-moi votre avis, me propose Pierre.

--Merci de votre confiance, dis-je émue.

L'enveloppe contient une jolie carte aux couleurs pastel avec la citation suivante :<<On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit: j'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois; mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui.>> On ne badine pas avec l'amour d'Alfred de Musset.

--C'est une très belle réponse, je lui réponds. Vous êtes deux êtres exceptionnels par la profondeur et la sincérité de votre amour mutuel. Je vous souhaite de tout mon cœur de vous retrouver un jour. Vous le méritez>> conclus-je.

Pierre me remercie, me fait une accolade amicale et s'éloigne lentement le dos légèrement voûté vers sa nouvelle vie. Je le regarde partir, le cœur serré, jusqu'à ce qu'il soit hors de ma vue.

Je repars riche d'un enseignement sur l'amour. Ma vie ne sera plus jamais la même désormais.

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