1. Quotidien éprouvant

2.1K 252 106
                                    

Slip Away - UNSECRET, Ruelle
***

5 juillet 1916

Deux jours sont passés depuis que les vagues sont parties au front et voilà cinq nuits que la première attaque a eu lieu. Cinq journées que le bombardement final de notre part a commencé et plusieurs aubes que les assauts des tranchées adverses ont débuté. Mais également cinq crépuscules que les Allemands ont accueilli nos hommes avec des tirs de mitrailleuses.

L'enfer est réel, je vous le dis.

D'autres soldats ont encore succombés à leurs blessures et ont emporté avec eux leur souffrance et leur courage. Tom a été envoyé dans la septième division à plus de six kilomètres de là. La douleur est pareille à un coup de poignard en pleine poitrine.

Les vingt-six divisions britanniques et j'en passe sont déployées sur vingt-cinq kilomètres de tranchées. Nous, l'armée britannique, sommes placés au nord du fleuve portant le même nom que la ville assiégée.

La partie nord du front dans laquelle je me trouve se situe entre le bassin versant de la Somme et celui de l'Escaut. Les rapides et cascades sont impressionnantes. Quant aux violents et meurtriers combats, ils se déroulent au sous-sol crayeux propice au creusement d'abris souterrains. Le climat fréquemment humide rend le sol boueux et la progression des troupes difficile...

Étant une infirmière de combat, mon devoir est de soigner les blessés bien que ce soit difficile mentalement et physiquement parlant. Je dois absolument avoir une force d'esprit en acier autrement je m'effondrerai à la moindre mort déclarée.

D'après un soldat canadien de la cinquième division blessé, la prise de La Boiseille, commune française, a été un succès. Ainsi, je prie pour que Tom ne fasse pas partie des divisions envoyées au front... Au fond, j'espère revoir son minois prochainement.

Prenant une courte pause, je me tourne vers la ville d'Amiens qui s'offre à moi. De la fumée noire s'élève dans le ciel autrefois azur. Cet épais nuage montre que la cité est ravagée et en proie des flammes et les bâtiments ne sont que ruines ou tas de gravats. Les allemands ont bombardé la ville peu de temps avant le début de la bataille, le 1er juillet, faisant des victimes civiles.

Au loin, le no man's land est désert. Cependant, ce dernier est jonché de corps inertes et cette vision d'horreur me fait frissonner. Des chars dont des flammes orangées consument le métal à une vitesse fulgurante, sont abandonnés. Des hurlements lointains résonnent dans le silence de plomb, quelques braves soldats parviennent à atteindre les tentes médicales avant de se faire soigner, d'autres meurent sur le chemin dans les tranchées.

La mort est semblable à l'enfer. Cette guerre sanglante me rend vulnérable. Tous ces hommes qui marchent, combattent et hurlent pour rendre leur dernier soupir m'accablent. Le sang de ces derniers est sur mes mains peu importe si celles-ci sont propres ou sales. Être infirmière dans les tranchées est un calvaire, un traumatisme.

- Willow, m'appelle une infirmière, on a de nouveaux patients !

Je me ressaisis et essuie rageusement les quelques larmes qui dévalaient le long de mes joues sans que j'en ai conscience. Revenant auprès des blessés, j'assiste à une opération à ventre ouvert et me retiens de rendre mon repas. Le soldat a un éclat d'obus enfoncé dans son abdomen et hurle à s'en déchirer les cordes vocales.

Saisissant un fil chirurgical ainsi que le matériel adéquat, je viens en aide à ma collègue et retire avec précaution l'éclat, arrachant une plainte sourde de la part du militaire. Recousant la peau abîmée en tentant de ne pas trembler, je laisse l'autre infirmière désinfecter la plaie alors que je coupe le fil.

- Il survivra, finis-je par annoncer en essuyant mes doigts ensanglantés.

Mon acolyte hoche la tête et administre un calmant puissant au combattant afin qu'il échappe à l'atroce souffrance qui le traverse. Au loin, les bruits des réacteurs des avions alliés fendent l'air et menacent constamment les troupes ennemies au sol qui ne peuvent pas se défendre faute de matériel adapté à la lutte aérienne. Un long soupir s'échappe d'entre mes lèvres alors qu'une troupe de soldats trottine dans les tranchées émettant des bruits de pas étouffés par la boue.

Ce supplice n'est pas prêt de s'arrêter. J'ai d'ores et déjà cessé de compter les morts car nous avions dépassé les dix-neuf mille défunts pour notre armée dès lors de la première attaque...

Je me mets à chantonner à voix basse, calmant ainsi les éclopés autour de moi :

« Les eaux sombres s'évanouissent,
Tu étais la lumière que je connaissais.
Je ne sais pas faire semblant,
Parce que je ne suis pas à l'épreuve des balles.
Ne laissez pas ça être la fin,
S'il vous plaît ne vous échappez pas.
Parce que je vais continuer à casser,
Ne laissez pas ça être la fin ».

Ma voix se casse à la fin des dernières paroles, mon cœur tambourine dans ma poitrine au point de m'en faire mal. Il semble presque vouloir sortir de mes côtes. C'est une chanson que je chante depuis mes débuts au front. Cette mélodie résume les horreurs de la guerre sans pour autant entrer dans les détails mêmes.

- Willow, tu devais être une star dans une vie antérieure ! ironise un soldat dont bras cassé est en voie de guérison.

Je lui adresse un faible sourire et prends une grande inspiration. Voilà un bon moment que je n'avais pas souri, à vrai dire depuis ma dernière entrevue avec Tom. Me faisant remplacée, je pars dans les tranchées afin d'aller chercher des provisions pour les soins à venir. Mes bottes s'enfoncent dans le sol boueux des galeries tandis que des rats s'enfuient lorsque ceux-ci font face aux soldats. Ces derniers, épuisés, me regardent passer sans piper mot. Néanmoins, je parviens à déceler une once d'espoir dans leurs regards éteints.

Les militaires se restaurent, rient malgré le contexte et écoutent de la musique afin de se détendre. Certains sont adossés à la terre humide des murs alors que d'autres sont allongés à même le sol. Au-delà des tranchées et abris se trouve le front ainsi que de nombreux corps mutilés à la merci des vautours et rongeurs voraces. Je ne peux qu'imaginer l'épouvante du champ de bataille et visualiser les ennemis n'attendre que combat et coulée de sang.

Des ordres sont lancés par les caporaux, officiers et commandants. Des soldats écoutent les instructions avant d'astiquer leurs armes dont le bout tranchant en métal fait référence aux baïonnettes utilisées par les troupes françaises. Évidemment, tous les alliés en possèdent une afin de se défendre contre l'axe. Les prochains combats semblent sur le point de débuter, je me prépare psychologiquement à recevoir davantage de blessés et un frisson me parcourt l'échine.

Ne pas céder à la panique, tu sauves des vies, Willow.

Sois brave et redonne la confiance à ces vaillants soldats.

***

BONSOIR !

Vos impressions sur ce premier chapitre ? 🤧❤️

Bonne soirée mes petites lunes <3

Nolwenn

Instagram 📸 : Rubism00n

Nos Cœurs ContrairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant