23. Folkestone

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Descent - Lawless, Dawn Golden
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19 août 1916, huit heures et quelques minutes, Folkestone, Royaume-Uni

Nous arrivons devant la maison et Monsieur Grennan insiste afin qu'il prenne ma mallette. Trois fois rien mais cette attention me touche particulièrement. Lui et sa compagne auraient très bien pu me laisser là, seule. Mais malgré le chagrin qui semble les habiter, ils ont eu la gentillesse de me recueillir chez eux. Bien entendu, je ne compte pas rester une éternité ici puisque la demeure de mes parents m'attend à Londres. Mais être ici, avec les proches de Tom me fait du bien. J'observe alors la maison à la façade blanche et jaune devant moi et des tonnes de souvenirs m'assaillent. Je me souviens lorsque Tom et moi partions pendant la nuit afin d'aller sur la plage en contrebas pour se balader sur le banc de sable, main dans la main. Nous partions tard et rentrions relativement tôt, avant que ses parents ne se réveillent. La fenêtre de sa chambre était notre échappatoire quotidien.

- Wilhelmina, ma chère ?

Madame Grennan me questionne du regard et arque les sourcils. Je reviens à moi et lui souris légèrement.

- Oui ?

- Entrez donc, il fait encore frais ce matin !

C'est alors qu'une bourrasque de vent vient heurter mon dos et me prend par surprise. J'entends Monsieur et Madame Grennan rire tandis que je m'avance vers le petit porche de la maison. Leurs rires me réchauffent le cœur, ils semblent si vrais... Nous entrons ensuite à l'intérieur et dès lors que je pose un pied sur la moquette dans le hall, des frissons recouvrent ma colonne vertébrale. Je me rappelle de la première fois que je suis venue ici, c'était durant l'hiver 1912, il y a quatre ans. Nous avions dix-sept ans tous les deux et découvrions le bon côté de l'amour adolescent et purement innocent. Je me souviens avoir fait la course avec lui jusqu'à la maison. La colline est assez raide lorsqu'on la fait en courant en talons et en jupe longue... ! En arrivant essoufflée devant la demeure, je me suis présentée aux beaux-parents. J'avais certainement l'air d'une dévergondée mais Thomas me regardait avec amour, c'est tout ce qui m'importait.

- Mettez-vous à l'aise, Wilhelmina. Je vais mettre votre mallette dans la chambre de Thomas ! m'informe Monsieur Grennan en retirant sa veste.

J'opine du chef, perturbée. Alors que je me déchausse et enfonce mes orteils douloureux dans cette fameuse moquette typique des maisons anglaises, je souris : cette sensation m'avait terriblement manqué. Ça change de la boue, des rats et des odeurs nauséabondes des tranchées ! Je me balade dans la maison et arrive dans le petit salon. Rien n'a changé : le canapé en tissu rouge tirant vers le bordeaux est toujours au centre de la pièce, la table basse en verre où repose les fleurs du dimanche se trouve non loin de ce dernier et les étagères regorgeant de vaisselles en porcelaine et de photos de famille, sont toujours là, elles aussi. Je m'en approche et saisis un cadre, effleurant la photo du bout des doigts.

Ce cliché en noir et blanc a été pris juste avant que Tom et moi partions à la guerre. Thomas portait son uniforme de soldat et avait sa casquette d'officier visée sur le crâne. Quant à moi, j'étais vêtue de mon ensemble d'infirmière de combat c'est-à-dire une longue robe, un tablier et une petite toque blanche où figurait une croix rouge. Sur la photo, nous sommes enlacés et nous nous embrassons. Je souris tristement en me rappelant ce moment qui a sans doute changé ma vie à jamais. Le goût amer de ses lèvres sur les miennes me hantent encore et encore. Le sentir contre moi, avec moi me manque. Sa mort me détruit jour après jour et j'ai du mal à m'y faire.

J'aurais pu le sauver mais il a voulu que je garde les équipements pour les autres soldats. Il a toujours fait passer les besoins des autres avant les siens. C'est avec aucun doute qu'il a regardé la mort en face en lui a souriant, lui tendant la main. Les souvenirs douloureux de le revoir là, en train d'agoniser sous mon regard impuissant, me meurtrissent. Je presse les paupières, avalant difficilement ma salive, le cœur battant à tout rompre. Des larmes jaillissent et dévalent mes joues tandis qu'un silence de plomb accompagnent mes sanglots étouffés.

Nos Cœurs ContrairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant