21. Faible espérance

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Every Breaking Wave (acoustic) - U2
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19 août 1916, trois heures du matin

Le bateau dans lequel je vais monter pour retourner en Angleterre part dans deux heures de la ville prénommée « Le Tréport ». Voici une semaine que j'ai appris que j'allais abandonner le front pour retrouver ma vie antérieure et vivre comme si de rien n'était. Les sept jours qui ont suivi la nouvelle ont été un calvaire. J'ai dû me convaincre que repartir n'était pas une mauvaise idée et que je serais bien mieux auprès de la famille de Tom. La mort et la crainte me colleront à la peau jusqu'à mon dernier soupir. Le deuil et le chagrin également. Et revoir les proches de mon défunt fiancé n'arrangera pas la situation...

Cette nuit, le ciel est couvert, une brise fraîche vient caresser ma peau tandis que je rassemble mes dernières affaires dans la petite mallette que j'ai apporté en arrivant ici. La peau au ventre, je garde la tête haute et regarde au loin. Malgré la pénombre, le champ de bataille s'offre à moi. Chaque détail, chaque corps, chaque odeur, tous laissent une trace indélébile en moi. Mais je me dois de rester forte, pour ces blessés qui restent là à espérer mourir ou survivre. Moi, ce qui me maintient en vie, c'est l'espérance.

Je crois en ma bonne étoile, c'est aussi simple que ça.

- Blake, êtes-vous prête ? me demande un officier.

Bouclant ma mallette et soupirant, je me tourne complètement vers mon interlocuteur et acquiesce silencieusement, le cœur meurtri. Croisant le regard sévère et sans faille du soldat, je reste sérieuse bien que les larmes menacent d'inonder mes joues.

- Bien, faites vos adieux et rejoignez le groupe derrière le champ de tentes.

J'effectue le salut militaire et le regarde repartir, les yeux au bord des larmes et le cœur tambourinant dans ma poitrine. En sortant de la tente, je m'agenouille auprès de la tombe creusée pour accueillir Tom et ferme les yeux. J'effectue alors une prière et embrasse la plaque autour de mon cou. En me redressant, je gonfle la poitrine et réajuste mon chemisier. J'ai retiré mon tablier et ai opté pour mon uniforme de base : jupe en tissu marron et chemisier blanc. En attachant mes cheveux en un chignon soigné et serré, je soupire. Mes mains sont de nouveau propres.

Je serre les anses de ma mallette et m'approche de mes amies, leur souriant tristement.

- Alors c'est l'heure, dit Eileen en fait une moue triste.

J'acquiesce silencieusement, bien trop ébranlée pour prononcer le moindre mot.

- Tu as intérêt à nous envoyer une lettre dès que tu seras arrivée ! sourit Ambre en essuyant ses joues rosées baignées de larmes.

J'opine du chef, muette. Les sanglots font trembler mes lèvres scellées tant ce moment me semble irréel. Mon cœur semble vouloir sortir de ma cage thoracique alors que l'émotion me submerge, engourdissant ainsi mes doigts.

- Et vous de me prévenir si vous voyez mon soldat... ! dis-je de façon spontanée en déposant ma mallette à mes pieds.

Mes amies sourient légèrement, attristée par mon brusque départ. Nikolaus. Ma petite étoile me dit qu'il est là, quelque part en train de se battre pour une patrie qui, jadis, n'était pas la sienne. Maintenant, il vit en moi tout comme je vis en lui jusqu'à ce que la mort n'emporte l'un de nous. Eileen sanglote et se jette à mon cou, bouleversée.

- Ne nous oublie pas, Willow.

J'enroule mes bras autour d'elle et l'enlace, tremblante.

- Tu sais bien que je ne pourrai jamais vous oublier. Jamais.

Nos Cœurs ContrairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant