20. Triste réalité

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Heart as a river - Robot Koch, Savannah Jo Lack, Delhia De France
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12 août 1916, huit heures et quelques minutes

Vingt-trois jours. Voilà vingt-trois nuitées que Nikolaus est parti au front. Durant ces vingt-trois jours, je me suis raccrochée à l'espoir de le revoir après la guerre. J'ai, depuis, pas arrêté de surveiller le front ainsi que les tranchées, à la recherche du prussien. En vain. La certitude de le revoir un jour s'amenuise jour après jour. Ainsi, je me dis que nous ne nous oublierons jamais. A vrai dire, nous ne pourrons pas vraiment nous quitter. Pourquoi ? Parce que nous nous sommes brûlés dans l'âme de l'autre, peu importe où nous sommes ou ce que nous faisons. Quand son cœur bat, le mien bat avec. Quand prendra fin ce cauchemar dont les terrifiantes ténèbres engloutissent les vies d'hommes innocents ?

- Willow ?

Une voix me tire de ma rêverie et je reviens soudainement sur Terre. La réalité me frappe de plein fouet, les bombardements ainsi que les cris délirants des soldats rendent l'adaptation davantage compliquée. Je serre les plaques militaires entre mes doigts tremblants, souillés de sang séché et prends une grande inspiration. Ils me manquent terriblement et de la tristesse ainsi que du chagrin rongent mon cœur jusqu'à ce que ce dernier ne cesse de fonctionner. Ses engrenages rouillés résistent tant bien que de mal et cette flamme qui crépite au centre de mon cœur épuisé, est animée par l'espoir, la rage et le courage.

- Willow ! On a besoin d'aide par ici ! m'appelle une collègue.

Je me retourne et hoche la tête. Reprenant mes esprits, je m'avance vers la tente et pénètre dans celle-ci. Les odeurs de sang, de mort et de putréfaction me donnent la nausée. Ces senteurs resteront gravées dans ma mémoire pendant longtemps, je pense. J'observe tout autour de moi et constate que l'horreur de la guerre fait rage. Des soldats dont les membres ont été arrachés par les éclats d'obus, dont les frayeurs les hantent ou les tuent ; sont présents. Certains ont les visages en sang, d'autres ont le corps mutilé. Ces visions me donnent des haut-le-cœur bien que mon travail soit de les soigner au maximum. Plusieurs ne survivent pas et succombent en un claquement de doigts.

En soignant un militaire qui s'est pris une balle dans le pectoral gauche, je déglutis, stressée. Aucun organe vital n'a été touché et la balle est ressortie, fort heureusement. Sa respiration est laborieuse et ses yeux papillonnent. Il a perdu pas mal de sang, les perfusions commencent à manquer et les donneurs se font rares. Les ravitaillements ne devraient pas arriver avant deux semaines. Connaissant Tom, il se serait empressé de donner son sang aux plus blessés des soldats. Cet homme avait un cœur en or et était doté d'une gentillesse sans nom. Je ne le méritais pas, il était bien trop bon pour moi. En repensant à mon défunt fiancé, de la mélancolie irradie mon corps tendu et éreinté.

Le soldat saisit mon poignet et le serre faiblement. Son regard impuissant croise le mien

- Sauvez-moi...

Sa voix faiblarde heurte mes tympans tandis que sa peau dont la blancheur cadavérique me choque, est tiède voire froide. En faisant pression sur la blessure, je m'efforce de sourire et de rester stoïque. Cet homme survivra, j'en suis certaine.

- Passez-moi de l'alcool et des compresses, vite ! hurlé-je.

Peu de temps après, mes collègues accourent et m'aident. Les mains pleines de sang, je me démène pour arrêter l'hémorragie et sauver le plus d'hommes possible. Je ne peux pas sauver tout le monde, je le sais. Mais je dois essayer à la fois pour Tom et pour Nikolaus.

Lorsque je verse le liquide alcoolisé sur la plaie, le soldat geint et contracte la mâchoire. Son regard à la fois impuissant et vaillant se pose sur moi. Entre deux souffles laborieux, il me dit :

Nos Cœurs ContrairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant