Save my soul - Rivvrs
***20 juillet 1916, vingt heures
La journée est passée lentement, trop lentement. La pluie s'est arrêtée mais le ciel demeure chargé et le brouillard est toujours présent bien que la nuit commence à tomber. La terre est boueuse, les odeurs de putréfaction, de sang et de mort me poursuivent. Si bien, que l'envie de vomir me tord les tripes. L'estomac retourné, je me force à rester stoïque et pousse un long soupir.
Je regarde le front au loin et vois les corps des soldats tombés bien trop tôt. Leurs corps inanimés se dessinent dans la nuit et se font dévorés par les corbeaux ou autres rapaces qui rôdent, affamés. Puis les tranchées regorgent de jeunes hommes dont le seul but est de tuer avant de recevoir une balle en retour.
Voilà des heures que Nikolaus est reparti au front. Des heures que le goût sucré de ses lèvres ne quitte pas les miennes et que le souvenir de notre étreinte me brise un peu plus chaque minute. Effleurant les deux plaques du bout des doigts, je ferme les yeux et prends une grande inspiration. De petites larmes s'échappent et dévalent mes joues salies par la poussière et la boue.
J'ai perdu les deux hommes que j'aimais. L'un est mort, l'autre a été envoyé vers celle-ci. Leur présence m'était chère et maintenant me voici seule.
- Willow ? m'appelle une douce voix.
Je rouvre les yeux et me retourne, serrant les plaquent entre mes doigts tremblants. Ambre s'avance vers moi et me regarde avec compassion. Avant même que je ne m'effondre, mon amie me prend dans ses bras et me serre contre elle. Pleurant à chaudes larmes, je m'accroche désespérément à elle, le cœur meurtri.
- Ça va aller, me rassure-t-elle en me frottant doucement le dos.
Sanglotant contre elle, j'enfouis mon visage dans son cou et pleure encore et encore jusqu'à en avoir mal au crâne. En m'écartant lentement de mon amie, je renifle et la laisse essuyer mes joues baignées de larmes et souillées de terre. Les petites mains d'Ambre se posent alors contre ces dernières tandis que je ferme les yeux et réprime un sanglot. Puis la voix de ma collègue résonne dans le silence meurtrier. Les combats se sont arrêtés pour aujourd'hui.
- Ce soldat est courageux, je suis persuadée qu'il te reviendra. Aie confiance en lui et en l'amour que tu lui portes.
J'opine du chef et déglutis, ressentant cette douleur persistante et désagréable dans ma poitrine. C'est une peine immense qui grandit encore et encore jusqu'à envahir chaque parcelle de mon corps.
- Je suis perdue, Ambre. Maintenant je comprends pourquoi les romances de ce genre ne se terminent jamais bien, s'attacher à un soldat était une mauvaise idée...
Mais au fond, être tombée amoureuse de Nikolaus était la meilleure chose qui me soit arrivée depuis le début de la guerre. Bien que mon affection pour Tom ait été présente, avoir côtoyé le prussien jour après jour, m'a fait tomber sous le charme de ce dernier.
- Willow...
Je me tourne face au front et agrippe les deux médaillons autour de mon cou. Ce sont les seuls objets qui me restent d'eux, mis à part les souvenirs qui me hantent.
- Comme on dit, l'espoir fait vivre...
Ambre ne dit rien et vient saisir ma main. Ainsi, elle la serre gentiment et nous regardons toutes les deux l'horizon, interdites. Le brouillard disparaît enfin, inondant ainsi la prairie dévastée aux aspects morbides et inhumain. Des frissons me parcourent l'échine lorsque les cris délirants des soldats laissés pour morts sur le front fendent l'air. Ils mourront là, seuls. Et si Nikolaus était parmi eux... ?
Dans un élan d'espoir, je lâche la main de mon amie et cours vers les échelles menant aux tranchées. Persuadée d'y retrouver le prussien, je mets toute mon énergie dans cette course folle contre la mort.
- Willow, non ! hurle Ambre, paniquée.
Je cours sans vraiment savoir où aller en réalité. Le brouillard m'empêche de voir correctement. Mes talons s'enfoncent dans la boue et mon cœur bat à mille à l'heure. Alors que j'atteins enfin les échelles, une main s'enroule autour de mon poignet et me tire brusquement en arrière. Je hurle, me débats, pleure et le silence me répond. Certains soldats dans les tranchées me regardent comme si je n'étais qu'une folle ayant perdu la tête pendant la guerre.
Non, je ne suis qu'une femme ayant le cœur brisé en un millier de morceaux à cause d'un seul homme : Nikolaus Hoffmann.
Je fais volte-face et découvre Eileen. Elle a les yeux écarquillés et le souffle court. Ses joues sont rougies et ses traits sont tirés par la fatigue et l'inquiétude.
- Bon sang, Willow...
A bout de souffle, je la scrute, muette. Puis Eileen pose ses mains sur mes épaules et les serre doucement afin de me faire réagir. Nos regards se croisent et les sanglots me reprennent.
- Écoute-moi, j'ai besoin que tu sois forte. D'accord ?
Comment ? Être forte alors que plus rien ne me retient ici ?
- Je ne peux pas...
Eileen ne cille pas.
- Bien sûr que si. Ces soldats ont besoin de toi, dit-elle en désignant la tente du menton. On a besoin de toi. Oui, la guerre fait des horreurs. Mais garde la tête froide et crois en toi. Et surtout, souviens-toi de l'amour que tu éprouves pour le soldat qui t'a laissé.
Ses paroles m'apaisent bien que la souffrance soit toujours présente. Ma vue se brouille et mes lèvres tremblent. Je suis perdue entre le regret et le tiraillement.
- Je ne le verrai peut-être plus jamais et...
- Arrête, me coupe-t-elle. Si tu penses ainsi, c'est certain que tu sombreras. Aie espoir et foi.
Elle a sans doute raison.
- Willow ?
Je hoche fébrilement la tête.
- Tu devrais aller te reposer, les filles et moi allons gérer les blessés.
- Eileen ! l'appelé-je alors qu'elle commençait à repartir vers la tente.
L'intéressée se tourne vers moi et semble pendue à mes lèvres.
- Merci.
Un mince sourire incurve ses lèvres puis elle hoche la tête, me tourne le dos et part.
Je prends un petit moment pour reprendre mes esprits et me mords l'intérieur des joues jusqu'à en sentir le goût âcre du sang. Allais-je vraiment céder à la panique, au chagrin ainsi qu'à la tentation ?
Après un petit moment à rester dehors seule, je reviens dans la tente et m'allonge sur la couchette de Nikolaus. Celle-ci est restée inoccupée après son départ tout simplement parce que j'avais supplié ma responsable de me la garder. Sachant que tout le monde a vu la scène poignante du baiser, ma responsable a accepté sans râler.
Ce baiser... Le goût sucré de ses lèvres hante encore et toujours les miennes. Bon sang ce que j'aimerais les sentir encore une fois, pouvoir les effleurer afin d'en avoir le cœur anesthésié. En m'allongeant sur la couchette, je repense au moment où nous nous sommes rencontrés pour la première fois. Nikolaus était mal en point et je me devais de lui sauver la vie. Tout est parti de là, le 3 juillet 1916.
Lors de son départ au le front, il m'a dit qu'il m'aimait en allemand. Je ne l'ai pas dit en retour mais il savait. Le prussien se doutait bien que ce que je ressentais à son égard était réciproque. Et l'aimer a rendu la guerre moins épouvantable.
Ich liebe dich, Nikolaus.
***
BONJOUR !
Vos impressions sur ce chapitre ? 🥺🌻
Bonne fin de journée et bon week-end mes petites lunes <3
Nolwenn ☾
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Nos Cœurs Contraires
Ficción históricaJuillet 1916, la Première Guerre mondiale fait rage. Le cœur de Willow Blake, une jeune infirmière de combat britannique, oscille entre son fiancé, officier anglais, et un soldat allemand qu'elle soigne par hasard lors de son service. Alors que cett...