28. Lettre à camarades

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Apocalypse - Cigarettes After Sex
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20 août 1916, dix-huit heures et quelques minutes

Installée dans le bureau de mon père qui, en réalité, est une petite pièce remplie de documents, de feuilles volantes ainsi que de bouteilles de vieux bourbon, je rédige une lettre pour Eileen et Ambre. Je leur avais promis de leur en écrire une dès lors que j'arrivais. Chose que je fais. Je leur raconte tout dans les moindres détails, allant de mon arrivée à Folkestone jusqu'à Londres. Je leur demande également si elles ont des nouvelles de mon soldat, Nikolaus.

Les souvenirs, les émotions et les descriptions m'aident à garder mon calme. Je suis également bercée par les bruits régulier de la pendule qui fait le coin de la pièce. Mes amies comprendront ce que je traverse, croyez-moi.

Pendant que je rédige la lettre, des larmes viennent tâcher le papier et fait baver l'encre. Mes sanglots se mêlent au silence de plomb qui m'entoure. Je n'ai pas les bras de ma mère pour me consoler, les blagues de mon père pour me faire rire ou les baisers de Thomas pour faire battre mon cœur. Non, je suis seule dans une ville qui m'est devenue étrangère. Je prends un petit instant pour regarder par la fenêtre de la pièce et constate que le soleil commence à décliner et laisse la place à la lune. Quelques passants errent dans les rues et rares sont ceux qui n'ont pas un journal entre les mains.

La guerre. Tous les regards, y compris les plus curieux, sont tournés vers celle-ci. Les odeurs, les bruits, les visions. Tout est ancré dans ma mémoire à jamais. Et je suis malheureusement prisonnière de mes tourments. Dès lors qu'un klaxon retentit, j'entends un obus. Lorsque je ferme les yeux, les corps sans vie de soldats, pour la plupart plus jeunes que moi, hantent mes nuits ainsi que mes jours. Les odeurs, quant à elles, me donnent encore la nausée.

Je suis exténuée, éreintée. Je reprends mes esprits et prends une grande inspiration. Mes amies sont encore là-bas, au front. Elles aident comme elles peuvent les soldats, pansent leurs blessures et les regardent mourir dans d'atroces souffrances. Et je ne suis plus là pour les soutenir. M'appliquant à finir cette fichue lettre en trempant ma plume dans de l'encre que j'ai trouvé par hasard en fouillant le bureau, je tire la langue et me concentre sérieusement sur le bout de papier. Je le ferais ensuite parvenir au facteur en espérant qu'Ambre et Eileen le recevront bientôt. Je finis sur les mots suivants : « Je vous aime et vos visages seront gravés dans ma mémoire jusqu'à mon dernier souffle, avec amour, Willow B ».

Je glisse le papier dans une jolie enveloppe et la scelle à l'aide d'un sceau. Ce dernier est une rose suivie d'un serpent. La lettre scellée par la cire, je soupire et me lève. Mon dos me fait mal et je grimace de douleur lorsque je m'étire. Je pars ensuite me faire un thé dans la cuisine et patiente que la bouilloire sifflote, m'indiquant que l'eau est prête. Mes paupières se ferment et je me revois dans les tranchées en train de trébucher sur des corps inertes de soldats. Ces derniers sont décomposés et certains n'ont même plus de formes.

Un haut-le-cœur me tord les tripes et mon cœur se serre. Lorsque le sifflement strident retentit, je tressaille et reviens sur terre. Je verse l'eau bouillante dans une tasse où un sachet de thé anglais y est déposé. Je le regarde flotter d'un air absent, les lèvres pincées et les sourcils froncés. Pourquoi est-ce que tout est compliqué ? Je bois tranquillement ma boisson dans le salon, assise sur le canapé et manque de me brûler la langue à plusieurs reprises.

Je n'ai pas l'impression d'être dans ma maison. Sans mes parents, rien n'est pareil. En posant ma tasse sur la petite table basse en bois devant moi, je fixe la bague qui encercle mon doigt d'un air nostalgique. J'ai un pincement au cœur en repensant à mon défunt fiancé. J'effleure le bijou du bout des doigts et souris. Je la garderai avec moi jusqu'à ce que la mort ne m'emporte. L'amour que nous éprouvions l'un pour l'autre était puissant mais la guerre en a décidé autrement visiblement...

Nos Cœurs ContrairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant