11. Regards

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14 juillet 1916, dix heures et quelques minutes

Son regard s'est posé sur moi et tout mon corps s'est mis à trembler. Les odeurs de la mort, du sang, de la boue et de la décomposition des corps disparaissent aussitôt. En un éclair, ses pupilles m'ont tout fait oublier.

Comment peut-il être debout ? Est-il vraiment présent ou n'est-ce qu'une imagination, un désir secret... ? Comment m'a-t-il trouvé ?

L'homme avance vers moi en boitant, continuant ainsi de me scruter intensément. Mon cœur fait des siennes sous ma poitrine, tambourine douloureusement contre mes côtes et me fait frémir de la tête aux pieds. Comment est-ce possible... ? Je dois sûrement rêver. Malgré les odeurs nauséabondes de la mort, du sang et de la putréfaction des soldats tombés ainsi que la pluie qui nous tombe dessus, rien ne surpasse la puissance de son regard.

Je suis comme clouée au sol, figée. Malgré la vive douleur qui traverse mon flanc droit, j'oublie tout ce qui m'entoure y compris le chagrin et la culpabilité qui me dévorent. Mes lèvres tremblent, je veux parler mais aucun son ne sort. Il avance encore, la jambe stabilisée par une attelle de fortune. Le soldat progresse dans les tranchées, s'aidant d'une béquille qui s'enfonce dans la boue et qui ne semble pas vraiment être utile. Le prussien se fait bousculer et injurier mais garde la tête haute et les épaules en arrière. Bombant ainsi le torse, il arrive à ma hauteur et me sourit.

- Wilhelmina, dit-il tout essoufflé.

Les larmes aux yeux, je le regarde sans piper mot. Choquée, je plaque une main sur ma bouche et me retiens de rire nerveusement.

- Nikolaus, que faîtes-vous ici ? Comment...

Je me stoppe net lorsqu'une vague de soldats passe devant nous en courant. Attrapant alors son poignet en faisant attention à ses béquilles, je l'amène à l'abris, là où peu de monde peut nous entendre. Le militaire s'adosse au mur fait de terre humide derrière lui et grimace. La pièce est éclairée de petites lanternes et abrite des rations et autres provisions restantes.

- Comment êtes-vous parvenu à traverser les galeries et descendre les échelles dans votre condition ? lui demandé-je, estomaquée.

Une fois de plus, il sourit.

- J'ai eu de l'aide de la part de vos camarades ! rétorque-t-il en tentant de cacher son fort accent.

Je souris à mon tour, hochant la tête et croisant les bras contre ma poitrine.

- Évidemment. Mais comment allez-vous ? Vous ne souffrez pas trop ?

Sans m'en rendre compte, je me suis rapprochée et seuls dix bons centimètres ne nous séparent l'un de l'autre. Je peux alors ressentir son souffle chaud et rapide venir caresser mon visage, me noyer dans ses yeux émeraude et observer les quelques gouttes d'eau tomber de ses cheveux en désordre. Ces derniers semblent rebelles et quelques mèches humides lèchent son front.

- Mir geht es gut.

Je fronce les sourcils, perplexe.

- Je vais bien, répète-t-il en anglais.

Un instant s'écoule, aucun de nous ne parle. Dehors, les bruits de la pluie battante, des hurlements, des obus et des mitraillettes s'évanouissent. Ainsi, une vague de frissons remonte le long de ma colonne vertébrale et le sourire qui incurvait ses lèvres s'agrandit. Il lève une main et l'approche de mon visage. Ses doigts attrapent une mèche brune et la replacent derrière mon oreille. Le laissant faire, hypnotisée, je déglutis et sens mes joues chauffer progressivement.

Nos Cœurs ContrairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant