2. Front

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Fire meet gasoline - SIA
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6 juillet 1916, treize minutes après le coup de sifflet final

Les obus percutent les braves hommes, les balles les mitraillent, le sang gicle et inonde la terre jadis fertile. Le cœur au bord des lèvres, je regarde au loin le front, impuissante. Mon corps est parcouru de frissons, de spasmes violents. Les hurlements des soldats me pétrifient sur place, plus aucune parcelle de mon être ne souhaite émettre le moindre geste. Je suis comme sonnée par cette atroce tourmente qu'est la guerre.

Les Allemands massacrent nos troupes alors que celles-ci cherchent à les épuiser, à les ridiculiser. Cependant, plusieurs dizaine de milliers d'ennemis s'écroulent sous les projectiles alliés, les avions de nos compatriotes survolent les terrains adversaires et leur offrent des pluies de balles, arrachant ainsi la vie de ces militaires aux intentions malveillantes.

Je regarde les vagues se préparer, les divisions attendre les signaux de leur supérieur et les miraculés revenir du front. Certains sont en piteux état, d'autres survivront malgré leur traumatisme dû au combat violent qu'ils viennent de vivre.

On me tape gentiment sur l'épaule, je tressaille et fais volte-face. Il s'agit simplement d'Eileen qui me sourit tristement. Elle me tend trois plaques militaires à moitié souillées de sang encore frais. Les yeux au bord des larmes, mon amie ne pipe mot tandis que je lui prends les objets des mains. Silencieuse, je regarde les noms gravés dans l'acier et déglutis : encore des familles anéanties, et ce ne seront pas les seules. Loin de là...

Prenant une grande inspiration, j'essuie les plaques dans mon tablier autrefois immaculé puis, retourne vers les tentes et m'occupe de plusieurs soldats dont certains sont des vétérans ayant déjà servis pour notre patrie. J'arrache encore maintes et maintes plaques et celles-ci rejoignent leurs semblables placées dans une petite boîte.

Mon Dieu, si je détenais le pouvoir d'arrêter le temps, je le ferais aussitôt...

Oh et mon Tom, mon cher et tendre... Où est-il ? Est-il encore parmi nous ? Soudainement traversée par une vague d'inquiétude, je cherche des yeux un quelconque général ou peu importe et prie pour que mon fiancé me revienne d'ici peu. En retournant dans les tranchées, je pousse les soldats en me faisant injuriée au passage et continue de rechercher. Des meutes de terre giclent jusqu'à moi et recouvrent mon crâne. Le goût de terreau emplit ma bouche tandis que je grimace et persiste.

Je cours presque, mes talons s'enfoncent dans la boue. Cette dernière m'empêche d'avancer convenablement mais j'accélère le pas et perçois enfin un homme de haut rang. Haletante, j'arrive à ses côtés et l'interpelle. Ce dernier a le regard tourné vers le front où des milliers d'hommes se font fauchés, son air est grave tout comme sa mine.

- Lieutenant Jones ! Avez-vous aperçu l'officier Grennan ou avez-vous entendu parlé de lui ?

L'homme oriente lentement sa tête vers moi et m'épie longuement de ses yeux noisette avant de déclarer d'un ton neutre, par-dessus le bruit qui nous entoure :

- Qui êtes-vous ? me demande-t-il, imperturbable.

Nouvel obus, de nouveaux morts et disparus au combat, de nouveaux blessés. Effectuant le salut militaire, je reste droite malgré les circonstances et les militaires qui me bousculent violemment.

- Willow Blake, Monsieur. Infirmière de combat de la douzième division ! Je suis la fiancée de...

- Oui, je suis au courant, me coupe-t-il en haussant le ton. Regagnez votre poste, Blake. Je n'ai aucune nouvelle de l'officier Grennan, je suis navré.

Sous le choc, je ne réagis pas. Puis lorsque d'effroyables hurlements résonnent et m'extirpent de ma transe, je salue le lieutenant et retraverse les tranchées à la hâte. Sur mon chemin, de nombreux soldats pleurent de douleur, sentent la mort, écrivent à leur famille ou peinent à réaliser ce qui se passe devant leurs yeux écarquillés par la crainte. En revenant auprès des éclopés, je m'active à contrecœur.

Rien qu'imaginer mon fiancé là-bas sous les balles ennemies me rend malade. La douleur que je ressens se répand dans ma poitrine comme un venin qui finit par atteindre le cœur et le détruire de façon fulgurante. Les explosions résonnent dans mes oreilles tandis que mes tympans bourdonnent. Tout semble fonctionner au ralenti autour de moi, comme si le temps s'était presque figé.

Les doigts tremblants, je m'occupe d'un soldat dont la cuisse droite a été blessée par une balle. Fort heureusement, celle-ci est passée à travers, il n'y a donc aucun risque de perte de membre ou d'hémorragie. Je recours, désinfecte et protège avec soin. Le miraculé me remercie, ému mais surtout sous le choc. Ses yeux larmoyants croisent les miens et je lui souris pour ainsi le rassurer.

- Vous allez survivre, lui glissé-je à l'oreille comme pour lui donner espoir.

Ainsi, sa main pleine de terre saisit la mienne et la serre en signe de gratitude.

- M... merci.

Posant mon autre main contre son front baigné de sueur, je surveille que sa température ne se soit pas aggravée. Soulagée de constater que son état ne se détériore guère, je soupire et lui souris une nouvelle fois.

- Reposez-vous, soldat. Vous en avez besoin. Et ne bougez surtout pas votre jambe blessée pour éviter toute hémorragie.

Ce dernier acquiesce sans répliquer et me libère de sa poigne amicale sans pour autant me quitter des yeux. Relevant la tête vers le champ de bataille, mon cœur s'arrête de battre un court instant lorsque je vois que le paysage est grouillé de corps sans vie, d'hommes courant vers la mort en ayant plus de trente kilos d'équipement sur le dos et d'avions se poursuivant dans le ciel.

- Un cauchemar, avoue le militaire d'une voix torturée, il n'y a aucune pitié là-bas.

Je veux bien le croire...

- Vous nous sauvez la vie, mademoiselle. Je vous en serais éternellement reconnaissant, finit-il par dire avant de plonger dans un sommeil artificiel causé par la morphine que je lui ai administré.

Flattée par sa déclaration, je peine à m'atteler aux soins des autres patients que mes collègues n'ont pas pu soigner. Je n'ai plus une seconde à perdre, mon but est de sauver autant de vies que possible tant que je vis sur Terre et que mon souffle ne s'évade point avant la fin de cette sanglante guerre.

La pluie s'abat sur nous en milieu de journée, inonde les tranchées, multiplie les difficultés de déplacement et augmente le risque de maladies. Quel calvaire... Je me dois d'être forte pour les combattants, pour leurs familles qui les attendent de pied ferme et espèrent ne pas avoir à endurer un deuil des plus douloureux.

Les cheveux et la robe trempés, je cours à travers les tentes afin de trouver des perfusions d'opiacés puisque nous en manquons cruellement. Essoufflée, je reviens m'abriter sous ma tente et fais mon possible pour aider mes camarades. Soudain, un homme attire mon attention, il boîte et semble très mal en point. Deux soldats le soutiennent et l'obligent à s'allonger non loin de moi.

Ses yeux d'un vert émeraude m'hypnotisent tandis qu'une plainte rauque s'échappe d'entre ses lèvres pincées. Je m'approche de lui et l'examine rapidement : son crâne a été légèrement ouvert à l'arrière et saigne abondamment, sa jambe paraît fracturée rien qu'en voyant les énormes hématomes et sa respiration est loin d'être régulière. Le sang encore chaud et liquide s'est collé à sa chevelure brune et rend l'examen compliqué.

Lorsque je commence à le soigner, il s'évanouit. Il a perdu beaucoup de sang et son teint pâle ne représente rien de bon...

Pourvu que je le sauve, il le faut. Et tout va changer dès lors que ce soldat rouvrira les yeux.

***

BONJOUR !

Vos impressions sur ce chapitre ? 😏♥️

Bonne journée mes petites lunes <3

Nolwenn

Instagram 📸 : RubisM00n

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