31. Méandres de la peine

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Where's my love (alternate version) - SYML
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5 septembre 1916, deux heures du matin

Je me tourne et me retourne dans mon lit, l'esprit perturbé et le corps trempé de sueur. Les draps me collent à la peau et je ne parviens pas à m'endormir. La pluie qui s'abat sur le toit résonne et créer cette atmosphère sombre bien qu'apaisante. Entourée de ce silence écrasant, je me sens incroyablement seule. La solitude fait partie de mon quotidien et tue mon cœur un peu plus chaque jour qui passe. Vaincue par l'insomnie, je décide de me lever et de recouvrir mes épaules d'un châle qui appartenait à ma mère. Son parfum fruité et vanillé imprègne encore et toujours le tissu. Je le hume et ferme les yeux, souriant faiblement.

Je m'approche de la fenêtre et soulève le rideau en dentelle. La pluie tambourine contre la vitre et des milliers de gouttes d'eau s'empressent de s'écraser contre cette dernière, faisant la course de celle qui ira le plus vite. J'observe l'averse durant de longues minutes, le regard dans le vide et les yeux secs : le manque de sommeil n'arrange en rien la situation. La pluie s'intensifie et bientôt un éclair déchire furtivement le ciel puis le coup de tonnerre retentit. Je sursaute et m'éloigne de la fenêtre, le cœur battant douloureusement sous ma poitrine, perturbée.

Inspire, expire.

J'ai toujours aimé les orages mais ça, c'était avant le début de la guerre. Bien avant mon enrôlement dans l'armée en tant qu'infirmière de combat. Maintenant, le tonnerre me rappelle les bombardements ennemis ou bien les tirs des baïonnettes. Et le plus douloureux : ça me fait penser à Thomas et Nikolaus, leur combat. Je colle mon dos contre la fenêtre et reprends mon souffle qui, entre-temps, s'était accéléré à cause de l'anxiété qui semble irradier chaque parcelle de mon corps depuis, ma foi, la nuit des temps. Renversant ma tête en arrière, je presse les yeux et réprime un sanglot. Mon cœur bat à tout rompre et un haut-le-cœur me tord les tripes. Les larmes coulent d'elles-mêmes et mes lèvres tremblotes.

Inspire, expire.

Je rouvre les yeux et décide de m'habiller au beau milieu de la nuit. Oui. Il faut que je sorte même si la condition météorologique me fait peur. La crainte me stimule, me maintient en vie. Je dois sortir et marcher ou je vais devenir folle. Alors j'enfile rapidement une jupe, des bas, un chemisier ainsi qu'une veste et mes bottes puis, j'ouvre la porte d'entrée et affronte le déluge en face. Avoir un coup de froid ne me préoccupe pas, j'ai besoin de marcher pour me libérer l'esprit. Mes talons martèlent le sol mouillé, je glisse maintes et maintes fois mais garde la tête haute. J'ai oublié mon parapluie et la pluie froide s'abat contre mes cheveux qui se plaquent contre mon crâne. Mes vêtements se gorgent rapidement d'eau et bientôt ma température corporelle chute.

Je marche en pleine nuit, le cœur meurtri et la frustration au ventre. Inconsciemment, je me dirige en direction de la maison de Noah. Il habite seulement à quelques quartiers de ma demeure et je pense que mon cerveau s'est souvenu du chemin sans même s'en rendre compte. En frissonnant, j'observe les maisons se dresser en face de moi et ne vois aucune lumière allumée. Je suis seule, là, dans la pénombre. Le ciel gronde et s'éclaire grâce aux multiples éclairs. Orientant mon visage vers l'infini, je laisse les grossières gouttes froides de la pluie s'écraser sur mon minois, se mêlant ainsi aux larmes salées qui coulaient d'ores et déjà sur mes joues. Je marche encore et encore dans ces rues inondées et dépourvues d'habitants.

Lorsque je reconnais la maison de mon ami, je m'avance vers son porche et prie pour qu'il soit rentré de Folkestone et accepte d'accueillir une femme désespérée, dirigée par ses émotions, trempée jusqu'aux os et complètement inconsciente de ses actes. Mais surtout : d'une femme amoureuse et détruite. Je toque et patiente, désemparée. Quelle idée de sortir à cette heure-ci... Aucune réponse, je commence à paniquer mais me raisonne : il doit sûrement être en train de dormir, non ? Je sonne, aucune réponse. Alors je tambourine à la porte, en pleurs : j'ai simplement besoin de mon ami, c'est une nécessité. Puis celle-ci s'ouvre sur Noah, affolé. Ses yeux écarquillés se posent sur moi tandis qu'il termine d'enfiler un t-shirt.

Nos Cœurs ContrairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant