Nos Cœurs Contraires

14. Condamné

Goodbye - Cage The Elephant
***

16 juillet 1916, deux heures du matin

Alors que je regarde Nikolaus dormir paisiblement, fatigué par les entraînements qu'il a effectué hier, deux soldats font irruption dans la tente et soutiennent un de leur camarade qui m'a l'air bien amoché. Il est inconscient, blême et ne tient presque pas debout. Le visage blessé de ce dernier est dissimulé derrière un tas de saletés et de sang séché, ce qui rend l'identification compliquée.

Cependant, son uniforme imbibé de sang laisse penser qu'il s'agit d'un sergent ou d'un officier.

- Willow Blake ? dit l'un d'eux.

Je m'approche et hoche la tête. Le même soldat continue, essoufflé :

- On a besoin de vous, ce soldat n'arrêtait pas de prononcer votre nom et on nous a indiqué votre unité !

Je ne réponds pas et leur indique un lit de camp libre. Lorsqu'ils déposent leur camarade sur ce dernier, ils effectuent le salut militaire et repartent sans piper mot. En observant le blessé, je constate qu'il présente des blessures par balle et une profonde entaille à la joue gauche. En ouvrant son uniforme, j'analyse les impacts des balles et remarque que son torse en est criblé. Trois balles.

Toutes sont encore dans son corps.

Me hâtant à nettoyer les pourtours des blessures à l'aide de désinfectant, je fais grogner le soldat. Ses paupières se soulèvent, ses iris me scrutent, fébriles.

- Willow...

Cette voix, je la reconnais...

Figée, le cœur au bord des lèvres, je fixe le soldat qui vient de prononcer mon nom. Reprenant mes esprits, je pars chercher un chiffon humide et retire la boue de son visage afin de mieux identifier ce dernier. Au fur et à mesure, mon cœur se serre.

Non, ce n'est pas possible.

Pour en avoir le cœur net, je décide de regarder sa plaque militaire autour de son cou et tombe des nues. Je relis celle-ci plusieurs fois avec la certitude d'être en train d'halluciner.

Tom Grennan, Officier, 12ème division britannique.

- Tom... ? dis-je d'une voix tremblante.

Il déglutit et esquisse un mince sourire.

C'est bien lui.

- Willow...

Refusant d'y croire, je fais quelques pas en arrière et le regarde, les yeux écarquillés. Ambre est là, quelques infirmières également. Elles sont toutes témoins de la scène et demeurent silencieuses.

- Non, ce n'est pas possible...

Les larmes inondent mes joues, ma vue se brouille et je me mets à trembler. Tout mon monde s'effondre. Le soldat me fait signe de m'avancer mais je ne cille pas.

- Approche-toi, Willow.

Je finis par le faire et plonger mon regard dans le sien. Ses yeux papillonnent, sa respiration est sifflante et rapide.

- Tu es là, susurre-t-il.

M'apprêtant à vouloir le soigner, une main s'enroule autour de mon poignet et m'empêche de partir.

- Non. Ne... ne me sauve pas, garde... le matériel pour d'autres.

Je secoue la tête et me libère de sa poigne peu ferme. Partant chercher des opiacés et des compresses, je m'efforce de me ressaisir. Il va s'en sortir. Lorsque je reviens vers lui et désinfecte une nouvelle fois ses plaies. Il pousse un grognement s'échappe d'entre ses lèvres.