Half light - Banners
***8 juillet 1916, quatre heures du matin
- Blake, réveille-toi ! On a besoin de ton aide ! hurle une voix stridente.
J'ouvre brusquement les yeux et suis aveuglée par la lumière crue de la lanterne penchée vers moi. Je me redresse sur mon lit de camp de fortune et me frotte les paupières, fatiguée.
- Qu'est-ce qui se passe ? demandé-je d'une voix endormie.
Ambre, une collègue française, soupire et me scrute de ses yeux noisette.
- Le soldat que tu as soigné et qui était dans les vapes depuis avant-hier s'est enfin réveillé et hurle de douleur. Je lui ai administré une dose de morphine mais je n'ai pas revu son bandage ni sa jambe...
Oh non, non, non...
J'enfile mon tablier ainsi que mon brassard blanc où une croix rouge figure, précisant ainsi mon poste puis me lève pour de bon et me dirige vers les tentes accompagnée d'Ambre. Observant tout autour de moi, je constate que les autres soldats sont calmes, qu'un silence de plomb règne et que les tranchées sont bondées de militaires se préparant le plus discrètement possible au prochain assaut. Des lanternes les éclairent faiblement.
- Willow ! me gronde Ambre, pressée.
Je reviens sur Terre et cligne des yeux plusieurs fois avant de me tourner vers le soldat qui me rend plus anxieuse que confiante. Ses prunelles émeraudes me scrutent, de la sueur recouvre son visage et plaque ses cheveux contre son crâne tandis que je m'approche de lui avec appréhension. Des plaintes rauques s'échappent de ses lèvres pincées pendant que je retire le bandage qui entoure sa tête. La plaie s'est rouverte et s'est infectée, mince...
Je jure entre mes dents et pars chercher le matériel adéquate. Soudain, une main saisit mon poignet et le serre faiblement. Je tressaillie en fixant l'étranger, craintive. Ses doigts contre ma peau provoquent la panique dans tout mon corps, une vague de frissons me parcourt la colonne vertébrale.
- Schmerz..., souffle-t-il d'une voix grave avant de me relâcher et de fermer les yeux.
Choquée, ma respiration peine à se stabiliser tout comme les battements affolés de mon cœur. Regardant mon entourage comme figée, je m'assure que personne d'autre que moi n'ait entendu la plainte du blessé.
La phrase qu'il vient de prononcer ne fait que renforcer mes doutes : il est Allemand et se trouve dans une zone ennemie. Partant ensuite chercher le fameux matériel, je reviens et le contemple un instant : son menton est recouvert de ce léger duvet qui lui donne un certain charme, de même pour ses sourcils broussailleux. L'homme a repris des couleurs malgré ses multiples blessures.
Puis ses paupières se soulèvent et ses iris m'épient. Je soigne sa plaie crânienne du mieux que je le peux et tente de rester concentrée mais c'est peine perdue puisque le germanique continue de me déstabiliser. Avalant péniblement ma salive, je place un nouveau bandage autour de sa tête et pars vérifier sa jambe immobilisée.
Cette dernière se remet doucement du traumatisme et les hématomes continuent colorer sa peau. Cependant, il semblerait que la fracture soit d'oblique déplacée et part de son tibia à son fémur du côté droit. Alors que j'analyse le membre du patient, le concerné se plaint une nouvelle fois :
- Schmerz...
Que veut-il dire... ? Je ne parle pas sa langue natale et je crains que notre entourage ne se doute de quelque chose. Alors je me penche vers lui et le rassure malgré mon aversion et ma haine envers lui.
Que fait-il ici ? Voudra-t-il tous nous tuer une fois en état ?
- Vous irez bien, Hoffmann.
A l'entente de son nom, le jeune soldat écarquille les yeux et déglutit. Il me regarde d'un air ahuri. Néanmoins, il ne me répond pas et referme aussitôt les yeux, épuisé. Une fois que je m'occupe de sa jambe en la consolidant à l'aide d'une attelle de fortune, je lui administre d'autres antalgiques puissants et le garde en observation tout en venant en aide à d'autres miraculés de la veille.
Bientôt, de nouveaux conflits éclatent, de nouveaux coups de canons résonnent et des rafales de mitraillettes retentissent. Les grosses voix des généraux de plusieurs divisions se font entendre, les pas rythmés des soldats se préparant à affronter la mort font écho avec les sanglots des accidentés.
Les premiers rayons de soleil apparaissent à l'horizon, le no man's land est mis en lumière. Je profite d'un moment d'accalmie pour aller chercher un dictionnaire dans les galeries afin de trouver la signification du mot que ce Nikolaus Hoffmann n'arrête pas de répéter depuis tantôt. En en trouvant un dissimulé dans mes affaires, je consulte chaque page jusqu'à tomber sur le fameux terme : Schmerz. Douleur. Ce militaire Allemand souffre et essaie de me le faire comprendre. Repensant à mes doutes sur le fait de ne pas le dénoncer, je frissonne et soupire longuement. Que dois-je faire... ?
Je suis perdue, révoltée, effrayée.
Remettant rapidement le petit dictionnaire dans mes affaires, je me décide à agir : je dois le couvrir en dépit des dangers que nous pourrions tous les deux encourir. Du moins jusqu'à ce que j'apprenne la vraie raison de sa présence ici ainsi que ses intentions. Et pourtant rien ne m'oblige à le sauver, je pourrais très bien le tuer en lui administrant une trop grande dose d'opiacés mais je n'en fais rien.
Mais pourquoi mentir pour un étranger qui se trouve être l'ennemi de ma patrie ?
Troublée, je ne parviens pas à mettre la main sur la raison de mon raisonnement ou de mon acte futur. Mon cœur tambourine douloureusement sous mes côtes, mes paumes deviennent moites et l'anxiété irradie mon corps comme un poison mortel.
Je m'engage à le soigner jusqu'à ce que son état s'améliore, à le protéger en mettant sa vie ainsi que la mienne en danger et le dissimuler parmi les peuples alliés. Malgré toute l'hostilité, l'incertitude et la frayeur que subis depuis la rencontre avec ce soldat Allemand, je ne peux m'empêcher de l'aider. Mon côté altruiste surgit au mépris de mon litige intérieur.
- Willow ? m'appelle une voix féminine.
Je me retourne et fais face à Eileen qui me dévisage d'un air concerné.
- Tu vas bien ? Tu as quitté la tente comme une furie tantôt...
Je lui souris et tente de faire abstractions des hurlements déchirants et détonations lointaines qui proviennent des tranchées tout comme du front. Ces sons resteront gravés dans ma mémoire jusqu'à ce que la mort ne m'emporte.
- Oui, mens-je, je voulais seulement me détendre un peu. Ne t'en fais pas, je reviens tout de suite !
Eileen me fait un clin d'œil puis repart dans l'autre sens en me laissant seule. Poussant un long soupir, je m'étire et masse mes poignets. Je resonge aux doigts de Nikolaus renfermant ma peau et frémis malgré moi.
Tous mes sentiments se mêlent et me rendent confuse. Mon cœur semble d'ores et déjà osciller entre Tom et Nikolaus que je ne connais à peine et je refuse d'éprouver quoi que ce soit pour cet homme dont les volontés restent inconnues. Peut-être est-ce seulement car Tom est loin de moi, que ce vide qu'il laisse me désole ?
Bon sang, que va-t-il m'arriver... ?
***
BONSOIR !
Vos impressions sur ce chapitre ? 👀💗
Bonne soirée mes petites lunes <3
Nolwenn ☾
Instagram 📸 : Rubism00n
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Nos Cœurs Contraires
Historical FictionJuillet 1916, la Première Guerre mondiale fait rage. Le cœur de Willow Blake, une jeune infirmière de combat britannique, oscille entre son fiancé, officier anglais, et un soldat allemand qu'elle soigne par hasard lors de son service. Alors que cett...