Chapitre 10 : Un appartement "inanimé".

252 3 0
                                    


Machinalement, elle déposa les clefs sur le meuble simple sans couleur qui trônait au milieu de la salle à manger de cet appartement. Il ne comportait que le strict minimum : une table ronde, deux chaises achetées à bas prix, un meuble de rangement marron ainsi qu'un lit pour une personne. Un appartement sans charme, sans vie où régnait le silence comparé à la demeure berlinoise. Le contraste était saisissant. Rien n'indiquait qu'une personne occupait ce lieu froid, sans décoration. Un appartement dont la seule bouffée d'air frais était la fenêtre qui ouvrait sur l'extérieur et qui apportait de la luminosité à cet espace sombre.

C'était un appartement impersonnel à l'image de la femme qui y habitait, une personne morte à l'intérieur qui essayait de ne pas disparaître dans les profondeurs des ténèbres. Elle n'avait plus de passé ni d'avenir. Tout lui avait été arraché un jour de mois de mai. Seule petit touche personnelle, vestige d'une vie merveilleuse sur le lit se trouvait une petite peluche orange, jaune et bleue qui l'avait accompagné depuis son enfance solitaire mais heureuse. Elle avait servi de doudou à son adorable petite fille les premiers jours de son arrivée sur terre.

Le mal de tête de la jeune femme ne s'était pas calmé depuis la discussion avec Céline. Elle alla dans la salle de bain blanche et exiguë, ouvrit le meuble qui siégeait au-dessus du lavabo et s'empara d'un tube d'aspirine. Lorsqu'elle referma le meuble, elle vit son reflet dans la glace piquetée de taches. Elle était méconnaissable, étrangère à elle-même. Qui était cette femme au visage renfermé, aux yeux teints et a teint pâle. Oui qui était-elle?

Flashback :

Dans un appartement dont l'adresse lui était restée inconnue car on lui avait bandé les yeux, elle était arrivée sous bonne escorte avec le policier rencontré au commissariat. Elle avait juste su qu'elle se trouvait à la frontière franco-allemande mais aucune autre information ne lui était parvenue de la bouche du policier. Il lui avait expliqué qu'elle devait changer d'apparence et d'identité le temps qu'il coince ces deux criminels afin qu'elle ne soit pas reconnue ni de Richard VON BRAHMBERG, ni du commissaire pourri et encore moins de sa famille. Pour elle, c'était une question de vie ou de mort. Une nouvelle identité lui avait été attribuée, elle s'appellerait désormais Alexandra KENSPEL , elle venait de perdre son mari et n'avait aucun enfant.

Ce fut le premier choc pour elle: renier tout ce qui faisait d'elle une personne vivante, oublier l'homme qui lui avait fait connaître l'amour avec un grand A et le petit être qui avait grandi dans son ventre pendant neuf mois, ce petit être fruit d'un amour démesuré pour un homme dont son nom était inscrit dans sa chair. Deuxième choc : son apparence physique. Le policier l'avait guidé alors jusqu'à la salle de bain à l'aspect vieillot dont un morceau de carrelage était parti où tout avait été préparé pour sa transformation. Avec une paire de ciseaux posée sur le rebord du lavabo, elle avait du couper mèche après mèche ses beaux et longs cheveux bouclés qu'elle avait eu tant de mal à dompter. Puis d'un chatoyant blond, elle était passée à un teinture châtain foncé effaçant toute trace de blondeur. Après cela, elle s'était sentie nue en se passant les mains dans les cheveux. Et le pire restait à venir : elle avait du cacher ses yeux bleus azurs par des lentilles marrons. Ne dit-on pas que les yeux sont les fenêtres de l'âme! Elle ne se reconnaissait plus.

A nouveau , elle s'était effondrée ayant l'impression de devenir folle. Mais le policier lui avait fait comprendre que c'était de la plus haute importance si elle voulait vivre. Sans David et Dana comment pourrait-elle continuer à vivre! Dernière chose lui avait-il dit pour l'achever :

- Je vais vous demander de retirer votre alliance trop reconnaissable.

Avec force, elle avait refusé cette proposition inhumaine mais devant la détermination de l'agent de police, elle avait du obtempérer. Comme si elle avait ressenti un coup de poignard au cœur, elle avait enlevé son alliance et l'avait mis dans la poche intérieure de sa veste récemment payée par le policier. Quelques jours après avoir été installé dans cet immeuble à l'abri des regards , elle s'était empressée de la remettre à son doigt en la dissimulant sous des gants noirs. Personne n'avait pu la remarquer et en France , il faisait un froid de canard inhabituel pour un mois de mai tout comme dans son cœur une vague froide l'avait recouvert.

- Ce n'est que temporaire, avait-il ajouté. Si elle avait su que le temporaire aurait duré aussi longtemps, elle l'aurait giflé de toutes ses forces.

Fin de flashback.

Un an après, elle se trouvait encore là en France dans un désert de sentiments perpétuel , dans cet appartement inanimé, dans cette salle de bain détestable en train d'essayer de se retrouver et de savoir qui elle était. En se disant cela, elle se pencha sur le lavabo pour enlever ses lentilles et deux billes bleues réapparurent sur son visage. Prenant une paire de lunettes à la monture noire, elle revit l'espace d'un instant le visage d'une femme qu'elle avait été auparavant. Elle ne s'était pas toujours appelée Alexandra, elle avait été Madame Lisa SEIDEL. Mais Alexandra lui semblait comme une sœur et Lisa comme une ancienne connaissance qui ne l'avait jamais quitté. Ou se trouvait-elle? quelque part située entre ces deux personnalités.

N'en pouvant plus de se torturer mentalement, elle se dirigea vers son lit et s'endormit toute habillée en tenant fermement dans ses mains la peluche qui semblait avoir retenu l'odeur parfumée, les rires et les pleurs de sa petite fille. La nuit fut courte, une nuit remplie de cauchemars atroces l'a réveilla brusquement. S'approchant de la fenêtre, elle observa la lune dans le ciel et son esprit s'envola au loin vers un homme et une petite fille dans un autre pays , une autre ville, une autre maison, la sienne. Que faisaient-ils en ce moment? Dormaient-ils profondément ou étaient-ils réveillés comme elle? Pensaient-ils aussi à elle du plus profond de leur cœur? De longues heures se succédèrent sans qu'elle puisse se rendormir , elle assista au lever du soleil.

Alors, elle prit une douche chaude puis elle s'habilla rapidement avec une tenue quelconque. Sur le chemin jusqu'à la station, elle s'enfila vite fait un croissant et arriva la première à l'école élémentaire des Pinsons.

Elle avait été engagée sur un coup de pouce mystérieux auprès de la directrice d'école comme ATSEM dans la classe de Céline qui s'occupait des touts petits , de la petite section à la moyenne section. Elle préparait la classe quand la porte de la salle s'ouvrit.

- Bonjour Alex, alors prête pour une journée chargée? s'écria Céline en posant sa sacoche.

- bonjour, et oui toujours pour les enfants, dit-elle en préparant l'atelier peinture. S'occuper des enfants lui permettaient de survivre et les enfants l'adoraient en particulier une petite fille prénommée Magali. Elle lui faisait penser à Dana, elle était blonde aux yeux bleus. Quand la petite Magali entra dans la classe, elle courut vers elle ignorant sa maîtresse.

- Bonjour, Alexandra dit-elle en lui faisant un bisou sur la joue.

- Bonjour, Magali, alors tu as passé un bon week-end?

- Oh oui, je suis allée chez ma mamie, elle a des vaches. Plus tard je serais agricultrice comme elle! dit-elle fièrement.

- C'est un beau métier. Tu as raison allez va t'asseoir auprès de Laura, elle est nouvelle et aimerait bien avoir une copine.

Céline commença l'atelier-peinture pendant qu'Alexandra alias Lisa regardait tristement le tableau et la date qui y était inscrite était spéciale. C'était l'anniversaire de Dana. Elle venait d'avoir 4 ans. A la pause, elle sortit dans la cour de récréation et appela un numéro familier. Une petite voix répondit : Allô ... allô. Papa y a personne. A ces mots, la jeune femme raccrocha aussitôt se retenant de ne pas pleurer. Toute la journée, elle se força de sourire mais le cœur n'y était pas. Son cœur était à BERLIN avec David et Dana qui devait en ce moment souffler les bougies de son gâteau d'anniversaire. Et elle n'était pas là. La journée se termina, en rentrant chez elle, les yeux embués de larmes, elle prit dans le tiroir de sa table de chevet la photographie qui les représentait tous les trois. Bon anniversaire Dana! dit-elle en caressant le visage en papier glacé de Dana. Comment était-elle? Elle avait du prendre quelques centimètres depuis sa disparition. Le visage enfoui dans la taie d'oreiller, elle ne put que dire d'une voix basse :Tu me manques David.

Dans ce lit vide et froid, elle se tenait recroquevillée en larmes quand une sonnerie de téléphone retentit.

Une histoire d'amour contrariéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant