Chapitre 2

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30 mai 2008

- Bonne soirée les jeunes.

    Je souris à la quinquagénaire au teint basané et au visage marqué par la vie. Alya est le genre de femme que je rêve de devenir un jour, elle est forte, n'a besoin de personne et sait tendre la main. Elle qui a perdu son mari jeune, elle s'est retrouvée seule en France et a dû se battre toute sa vie et, malgré tout, elle a su trouver les mots pour faire céder Ken quand elle lui a proposé de s'installer dans la chambre qu'elle avait en trop chez elle.

    Il vit ici depuis quelques mois et ils sont tous les deux devenus plutôt complices. Il a beaucoup de tendresse pour elle, autant qu'elle en a pour lui je pense. C'est un peu comme s'ils avaient besoin l'un de l'autre; il est le fils qu'elle n'a jamais eu, elle est la figure maternelle dont il manque depuis qu'il ne vit plus chez ses parents.

    Alya prend le temps de nous adresser un sourire avant de refermer la porte derrière elle pour se rendre sur son lieu de travail. Ken déglutit et, pour en avoir déjà parlé avec lui, je sais qu'il déteste la regarder partir à la nuit tombée pour aller nettoyer des bureaux pour un salaire de misère. Mais, elle, on ne l'entend jamais se plaindre.

- Un jour je lui offrirais la retraite qu'elle mérite., il souffle et je hoche la tête. Trente-cinq ans qu'elle se pète le dos à ramasser la merde des autres ...
- On sait tous que tu finiras par réussir à faire ce que tu aimes, Ken., je lui assure.

    Il hausse les épaules, l'air très peu convaincu par ce que je lui dis mais moi j'en suis certaine. Il se donne à fond dans tout ce qu'il entreprend, c'est évident que ça finira par payer.

    En posant mes pieds sur la table basse, je tire la couverture qu'il a ramené de sa chambre pour qu'on regarde un film au chaud. Lui, il est assis à même le sol en train de bidouiller le lecteur DVD qui est apparemment en train de rendre l'âme. Tout ça pour revoir le film qu'on a déjà vu la semaine dernière parce que, si on en croit l'avis du grec, c'est le seul film de la maigre collection d'Alya qui vaut le coup.

- Bon c'est mort., il finit par trancher reposant la télécommande sur le meuble. Il y a quoi à la télé, déjà ?
- Déjà j'ai la dalle, revois l'ordre de tes priorités.
- T'es chiante, je vais encore devoir te faire à manger ?, il se plaint et je souris.
- C'est toi le roi du burger !, je ricane en me débarrassant de la couverture pour le suivre dans la petite cuisine.

    Il n'a pas l'air d'en avoir marre de manger dans son fast food tous les jours puisqu'il sort d'un placard des pains buns. Il m'ordonne de m'occuper de couper quelques tranches d'une tomate pendant qu'il fait dorer les pains et cuire les steaks. Côte à côte devant le plan de travail, je découpe méticuleusement la tomate de manière à ce qu'il ne vienne pas se plaindre de mon pseudo travail par la suite. Enfin, il m'a donné la tâche la plus simple, du coup j'ai fini bien avant lui.

    Sans trop me poser de questions, je tends le bras par dessus les siens pour attraper l'oignon de l'autre côté.

- Mais pousse toi, je ne vois plus rien., il se plaint.

Tenant mon couteau de la main droite, j'ai tendu la gauche pour attraper le condiment. Et ce n'est qu'en relevant le regard vers sa mine agacée que je me rends compte que je suis bien trop proche de lui. J'ai pourtant l'habitude, en un sens, parce qu'on partage souvent un lit ou un canapé minuscule. Mais jamais je ne me suis retrouvée quasiment face à lui, au point que le soupire d'exaspération qu'il a lâché quand je l'ai gêné s'est répercuté sur mon front.

Je ne sais pas pourquoi je n'ai pas juste attrapé cet oignon pour le couper sans faire plus d'histoire. Au lieu de ça, je reste immobile, et lui aussi. Prise d'une pulsion dont j'ignore la provenance, je lâche le légume et ma paume rejoint sa joue quand je franchis l'espace qui nous séparait. La main qu'il pose sur ma hanche me laisse entendre que je ne suis pas la seule à donner vie à ce désir, même à cette tentation.

Combien de fois ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant