13. Novembre 2017 (Hope)

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    Je suis attachée. Sur une chaise. Les poignets liés dans mon dos et les chevilles aux pieds de la chaise. Je panique. Pourquoi fait-il une chose pareille? N'est-il pas censé m'aimer? Ne sommes-nous pas fiancés? Je le vois approcher, les yeux fous, un sourire sadique sur les lèvres, un scalpel à la main.

"-Clyde, qu'est-ce que tu fais? Repose cet outil!", j'ordonne d'une voix mal assurée.

    Clyde? Qui est Clyde?

"-Espoir, mon Espoir chérie... Tu n'aurais jamais dû l'approcher... Il détruit tout ce qu'il touche..."

    Espoir? Je m'appelle Hope! C'est la même chose, je sais mais quand même!

"-Mais qu'est-ce qu'il t'a fait pour que tu le détestes autant?

-TOUT! Il m'a tout pris! Mais toi..., me dit-il en s'approchant. Toi, il ne t'aura pas, il ne t'aura jamais, car tu resteras ici pour toujours! À moi pour toujours et à jamais, mon amour.", me chuchote-t-il à l' oreille en me caressant la joue.

    Je sens des larmes couler sur mes joues, amères. Je secoue la tête, incrédule. Je ne connais pas l'homme qui est devant moi. Ce n'est pas le jeune docteur, plein d'ambition que j'ai rencontré dans mon village en Bretagne. Ce n'est pas le jeune anglais qui m'a fais la cour et que j'ai accepté d'épouser malgré l'interdiction formelle de mes parents. Qui est cet homme?

"- Qui es-tu? Qu'est devenu l'homme que j'aime?

-L'homme que tu aimes?, me hurle-t-il à la figure en me giflant violemment. Es-tu bien sûre de m'aimer? Parce que si tu m'avais réellement aimé, tu ne serais pas allée voir ailleurs comme une putain en chaleur!"

    Ses mots me font mal, trop mal. Mais ils me font aussi réaliser que j'ai cessé de l'aimer quand son ambition démesurée l'a conduit ici, dans ce camp de fous, dans cet endroit où l'on défie le pouvoir de Dieu. Mais que c'est aussi dans ce lieu où l'humain prend le pas sur Mère Nature que je l'ai rencontré, lui. Peter... Un prisonnier comme les autres au premier abord. Un homme qui prend tout à cœur et qui prend soin des personnes qu' il rencontre, voilà ce qu'il est quand on le connaît mieux. Et c'est aussi le seul homme à m'avoir fait vibrer jusqu'au plus profond de mon être.

    Mais de qui je parle ? Mais qu'est-ce qui m'arrive ?

    Soudain un courant d'air agresse ma poitrine. Clyde tient dans sa main gauche ce qu'il reste de ma chemise et le jette sans ménagement. Il prend ma mâchoire avec force et m'oblige à regarder le plafond. Puis je me fige un instant, avant de gémir et de me débattre, en pleurant de plus belle. Il fait courir la lame du scalpel de la base de ma trachée jusqu'en haut de mon ventre en passant entre mes seins. La douleur est insupportable, brûlante, aiguë.

    Je sens mon sang se répandre sur tout mon corps. Ma vision se trouble, je ne sens plus rien. Je perds vite conscience.

***

    J'ouvre les yeux, le corps en sueur, un cri coincé dans ma gorge avec une boule énorme, ma respiration bloquée dans mes poumons. Je pleure, sans possibilité de m'arrêter. Quand je reprends enfin mon souffle, un sanglot s'échappe de mes lèvres. Qu'est-ce que c'était ? Qu'est-ce qui m'arrive ?

    Soudain un poids pèse sur mon corps. Je découvre alors la bête courbée au-dessus de moi. Dans son regard jaune dansent des flammes de peur, d'angoisse mais surtout de folie. Je hurle, je hurle à m'en briser les cordes vocales. Je repousse les draps et la créature en même temps. En un rien de temps, je sors de la chambre et cours dans les couloirs de la bâtisse. Je ne sais pas où je vais. Je laisse juste mes jambes et mon instinct me guider à travers ce labyrinthe. J'arrive tellement vite dans une cage d'escalier que je trébuche et dévale la volée de marche. Quand ma chute prend fin, une douleur lancinante me traverse la jambe gauche. Malgré tout je me relève. Je ne dois pas m'arrêter, pas maintenant, pas alors qu'il est derrière moi. Je boite, mais je continue. Soudain une lueur attire mon regard et je la suis. Je me retrouve dans la pièce où tout a commencé. Dans l'entrée se trouve encore la flaque de sang, désormais moisie. La porte est ouverte. Je fonce.

    Je m'arrête un instant. C'est une sensation étrange que de sentir le vent contre son visage quand on est resté enfermé pendant plusieurs jours. La lune est haute et pleine dans le ciel. Elle illumine un chemin à travers les arbres. Je suis pieds nus mais là, c'est le dernier de mes soucis. La terre et les feuilles sur le sol me blessent la plante de mes membres. Je me traîne aussi vite que mon corps blessé me le permet. Puis je l'entends:

"- Arrête !", sa voix rauque emplit l'air glacé de la nuit.

    Je ne m' arrête pas. Peut-être que j'aurais dû, parce que je tombe l'instant d'après sur une racine qui ressort un peu trop. Je gémis de douleur. Les larmes ravagent mon visage. Je n'ai plus de force. Je ne sens plus rien dans mes jambes. Je n'en peux plus. J'abandonne ! Je veux rentrer à la maison, dire à ma mère et à mon père que je suis désolée pour mon comportement de garce, faire une surprise à ma meilleure amie pour son anniversaire... Faire toute ces choses de fille normale. Je broie dans mes mains les branches et les champignons qui m'entourent.

    Je sursaute en sentant des griffes glisser sous mon corps pour me soulever et me placer contre un torse chaud et large... réconfortant. Je le sens bouger avec précaution mes bras et mes jambes pour que le trajet retour me soit le plus agréable possible. Le temps semble s'étirer alors qu'il me rapporte dans la maison. Dans l'escalier, je sens son corps se modifier: les poils laissent place à un torse nu, les griffes disparaissent et la gueule est remplacée par une mâchoire volontaire. Je me niche un peu plus étroitement dans son cou. Ma main part à la découverte de ce corps qui me soutient. Sous mes doigts, je sens des irrégularités sur la peau qui se tend au moindre de mes gestes.

    Je ne me rends compte qu'on est dans la salle de bain que quand je sens sous mes cuisses le carrelage froid du lavabo. Je relève la tête pour voir les yeux tristes de Peter. Chacun de ses mouvements est d'une douceur indescriptible. Il ne me brusque pas... Il me caresse le corps à la recherche de blessures. Il me retire lentement mes vêtements déchirés avant de passer un gant de toilette humide sur mes éraflures. Il embrasse chaque marque avant d'y appliquer un gel antiseptique. Je frissonne, le souffle court... Il se tourne un instant pour fouiller dans l'armoire à pharmacie. Mon cerveau fatigué laisse mes yeux savourer ces muscles nus. Quand il revient, un sourire étrange flotte sur ses lèvres. Il se baisse et tâte ma cheville blessée avant de la sécuriser dans des bandes de gaze. Je le laisse faire. Il disparaît quelques instants avant de revenir m'enfiler un T-shirt bien trop grand pour moi. Je me laisse faire.

    Quand il a fini, il me reprend dans ses bras et me porte jusqu'à la chambre. Il me dépose doucement devant le lit. Il ne me lâche pas et je n'ai pas envie qu'il le fasse. Nos regards se croisent et ne se lâchent plus. Puis il vient déposer sa bouche sur la mienne, lentement, comme pour me laisser la possibilité de refuser. Mais je n'en ai pas envie. Quand nos lèvres se rejoignent, je suis surprise une nouvelle fois par cette impression de déjà vu. Sa langue vient demander s'il peut approfondir le baiser. Je me laisse aller. Je n'ai ni la force, ni le besoin de me rebeller. Nos corps s'activent alors l'un contre l'autre, se découvrant.

    Mais il finit par mettre fin au rêve éveillé. Je gémis de mécontentement. Il m'allonge sur le matelas, m'embrasse sur la tempe et s'enfuit. Me laissant seule dans cette chambre soudain trop froide. Mais Morphée finit par me retrouver et je plonge dans un  sommeil sans rêve.

Animalis dementiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant