19. 12 novembre 1918 (Peter)

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     Comment décrire les derniers mois qui se sont écoulés ? Improbables ? Incroyables ? Inimaginables ? Sensationnels ? Invraisemblables ? Magiques ? À vrai dire, aucun de ces qualificatifs ne peux le faire. Ils sont... indescriptibles. Voilà ! IN-DES-CRIP-TI-BLE ! Tout comme mon ange. Et c'est grâce à elle que ces jours passés ont été , et bien, indéfinissables. Une sorte de routine s'est installée entre nous. Dès que nous nous retrouvons seuls, je l'embrasse. Je suis totalement devenu accro à sa personne, à ses sourires, à ses rires, à ses yeux, à son corps, à ses expressions, à... à elle toute entière ! Et je le lui prouve en lui donnant un baiser. Enfin, en tentant plutôt, car cette fille est une véritable anguille qui se dérobe au moindre de mes mouvements. Je ne veux pas la forcer à quoique ce soit, et puis ça m'amuse. Alors parfois c'est dans ses cheveux que mes lèvres finissent, parfois c'est sur sa joue, et quand j'ai vraiment - mais alors vraiment – de la chance, nos lèvres se rencontrent pour quelques instants que je voudrais éternels.

     J'ai des envies de sang de temps à autre. Et quand ça arrive, j'ai du mal à contenir ma transformation : mes sens se renforcent, mes canines poussent et des griffes font leur apparition. En les regardant, je vois l'effroi dans les traits de ceux qui m'entourent sur le moment. Et j'y prends plaisir, j'aime être craint. Personne n'a oublié la sauvagerie de ma première métamorphose. Et chacun espère ne pas être ma prochaine proie. Que ce soit les mutants, que ce soit les gardes, que ce soit le personnel du laboratoire. Je ne peux pas leur en vouloir. Je me dégoûte moi-même. J'ai fait des horreurs, j'ai tué des innocents devant un public de personnes plus ou moins innocentes. Mais surtout j'ai terrifié mon ange ! Peu m'importe son opinion sur le sujet, je suis devenu un monstre inhumain. Tout ça à cause de lui. J'ai accepté de mon plein gré de venir ici, en pensant trouver un camp de prisonniers normal, pas un putain de laboratoire dirigé par la pire enflure existante.

     Clyde Goodman. Son nom sonne tellement faux à mes oreilles. Il est bien le seul qui savoure littéralement chacun de mes moments de folie ou de faiblesse. De ce que m'a dit Espoir, il se comporte différemment avec moi. Contrairement aux autres, il a tenu à ce que toutes mes opérations soient effectuées de ses propres mains... parce qu'il voulait pouvoir les exécuter parfaitement. Pour faire simple, mes camarades sont incomplets, encore en partie humains. Moi, il a fats en sorte que je devienne une créature d'horreur « pour l'éternité ». Tels ont été ses mots selon mon ange. Si je pouvais, j'enverrai une droite bien placée dans la gueule de ce connard en lui tendant une lettre de recommandation pour les enfers. Avec un billet « aller simple » évidemment ! J'espère qu'il crèvera comme une merde ou dans la pire des souffrances connues à ce jour. Mais avant je veux partir avec ma magnifique brune sous nez, lui montrer qu'elle ne lui appartiendra jamais, qu'elle est mienne...

     MIENNE...

     Je n'avais encore jamais utilisé ce mot pour désigner Espoir. Mais je crois que c'est celui qui lui convient le mieux. MIENNE... Rien que l'idée fait plaisir !

***

     Depuis août, une certaine nervosité a commencé à gagner petit à petit les militaires qui nous gardent. Et cela s'est renforcé à partir de septembre. On parle d'armistice, de mutineries et de révoltes, à Kiel par exemple. On dit que Guillaume II, l'empereur allemand refuse d'abdiquer. On pense que c'est ce qu'il y a de mieux à faire pour certains. D'autres, qui sont las de tout ce remue-ménage martial, espèrent que le dirigeant va comprendre que s'obstiner pour l'honneur ne sert à rien.

     Depuis août donc, une vague d'espoir éveille les esprits de tous ceux qui sont enfermés dans cette géhenne terrestre. C'est assez incroyable comme quelques murmures échangés par-ci par-là peuvent être une véritable bouffée d'air frais. Quelques rumeurs et nous sommes tous revigorés, plein d'énergie, de courage, de haine et de désir de vengeance. Pourtant, chacun de nous sait que si nous sortons, il planera toujours au-dessus de nous un cumulonimbus noir d'encre pour ternir le paysage à jamais jusqu'à notre mort : nos souvenirs, nos cicatrices, notre part animale et ses pulsions. Il peut suffire d'un rien pour que nous basculions dans la métamorphose. Une phrase blessante dite sous le coup de l'émotion, une nouvelle accablante, un geste mal placé... Nous avons beau avoir appris à nous contrôler, le risque zéro n'existe pas.

Animalis dementiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant