18. 21 novembre 2017 (Hope)

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     Hier, P. m'a retiré mon attelle. Et même s'il m'a recommandé de ne pas trop forcer, je crois que je n'ai jamais été aussi heureuse de toute ma vie. Pouvoir à nouveau marcher, courir, sauter... bouger en fait. C'est juste un plaisir ! Je lui ai aussi demandé comment ça se faisait qu'il savait quoi faire pour me soigner et mon temps de rétablissement. Il m'a répondu qu'il avait fait des études de médecine avant de changer d'orientation professionnelle. Je n'ai rien ajouté à cela. Qu'y avait-il à dire ? C'est totalement plausible. Je ne connais rien de son passé avant le camp. Qu'est-ce qu'il voulait être avant de devenir soldat ? Quel genre de petit garçon était-il ? Qui sont ses parents ? Wow, calmos ! On part à la dérive, là ! Peut-être mais je ne dirais pas non à l'histoire qui se cache derrière les clichés trouvés dans le porte-feuilles.

     Ça doit faire une journée et demie que je refuse de rester assise. Je lui tape sur le système et j'en suis fière. Mais contrairement à hier, il me semble plus nerveux. Il essaie de paraître calme, mais il ne cesse de jeter des coup d'œil aux fenêtres condamnées de la multi-pièces où on est en ce moment. Il est midi, on mange, mais l'ambiance est impossible. Si c'est moi qui l'énerve, qu'il le dise merde ! Je vais pas le trucider pour ça !

« - Qu'est-ce que vous avez à gigoter sur votre chaise comme ça ?

- Rien qui ne doive t'inquiéter, dit-il en maltraitant les légumes dans son assiette.

- Je vois bien qu'il y a quelque chose qui vous dérange. Et ce n'est pas en gardant ça pour vous que vous allez vous calmer, je râle.

- Si tu fais des études pour devenir psychologue, sache que c'est mal parti.

- Je ne sais pas trop encore ce que je veux devenir. Mais j'ai passé une partie de mon enfance trimballée de cabinets en cabinets de psy sans jamais qu'on ne trouve quoi que ce soit. De toute façon, ça s'est arrêté tout seul.

- Comment ça ?, sa curiosité emplit sa voix.

- C'est-à-dire que..., j'hésite, n'aimant pas trop ressassé ces épisodes douloureux. Bien, je vous raconte », je soupire.

     Quand j'étais petite, environ six-sept ans, je rêvais que j'habitais une maison en bord de mer avec mes parents et mon grand frère. Que de la fenêtre de ma chambre, je voyais une île. Que de temps en temps on allait sur cet îlot avec ma famille. Que dessus, on avait trouvé un chien blessé. Qu'on l'avait rapporté chez nous, et qu'on l'avait soigné. Que j'avais adoré le soigner et que cela m'avait donné envie de devenir infirmière. Je me souvenais de beaucoup de détails. De la couleur de mes draps aux motifs de fleurs à la barbe poivre et sel de mon père, en passant par la fourrure blanche tachetée de noir, de fauve et de brun du canidé aux yeux bleus.

     Pendant toute cette période où j'alternais entre ma vie dans la réalité et celle dans le monde onirique, la relation de mes parents s'étiolait. Ils ne pouvaient pas cohabiter plus de vingt-quatre heures ensemble sans finir par s'engueuler. Ils ne restaient ensemble que pour pouvoir payer les praticiens qui ne trouvaient rien d'anormal à ce qu'une enfant de mon âge ait une imagination aussi débordante. Parfois je me disais que mes rêves étaient plus agréables que ma famille actuelle. Puis du jour au lendemain, plus rien. Juste des nuits noires. Plus de couettes florales, plus de bisous chatouillant à cause d'une barbe, plus de chien à la patte cassée. Je dormais d'un sommeil vide. Trois mois plus tard, mes parents divorçaient. J'avais huit ans.

« - Voilà, tu connais ma vie. À ton tour.

- Pardon ?, me demande-t-il, surpris.

- Le principe d'une discussion, c'est d'échanger. Je t'ai parlé de mon enfance. En échange, raconte moi la tienne, je lui explique.

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