Le retour du héros

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Les regards étaient graves en ce matin funeste. Ce fut le pas lent et l'humeur noire que les principaux conseillers de la reine prirent place autour de la table.

Alors que le ciel, encore obscurci et engourdi par l'épais manteau de la nuit, peinait à redorer le ciel de la cité, tous avaient été réveillés par l'agitation qui avait eu cours. On était venu les chercher jusque dans leur chambre, les extirper de la pâleur des draps, de leur sommeil d'insouciance, de leurs tourments nocturnes pour leur annoncer la nouvelle qui avait déjà parcouru les moindres ruelles de la cité. Au marché, à la taverne, chez le tisserand, chez le bottier, partout, elle était sur toutes les lèvres. Vague inarrêtable, la rumeur s'élevait pour se fracasser contre les murs du palais qui semblaient encore pouvoir tenir.

Des guerriers avaient été massacrés comme des bêtes, disait-on. C'était le boulanger, boudiné dans sa tenue, qui avait trouvé les corps d'une dizaine d'hommes en armure dorée, la peau livide et l'œil éteint, baignant dans leur propre sang et leurs déjections. Des grognements de chiens errants l'y avaient conduit alors qu'il s'apprêtait à rejoindre son poste. Ces bâtards se repaissaient des cadavres comme des charognards affamés, lapant leur fluide vital qui avait souillé le sol pavé de la rue sombre. En voulant les faire fuir, l'artisan avait alors remarqué le trophée dérisoire qui avait fait la fierté de ces assassins de l'ombre. L'homme engoncé dans son tablier recula alors sous l'horreur qui lui était donnée de voir. Au bout d'une pique, la tête décapitée d'un jeune soldat avait été posée contre un mur. Celle d'un gamin qui venait d'entrer dans la garde avant que la mort ne le fauche. Et les lâches ne s'étaient pas arrêtés là. Ils avaient laissé un message sur le mur gris fait avec le sang de leur exploit pour justifier leur méfait :

À mort la putain du traître ! À mort les guerriers parjurés et renégats ! Peuple d'Asgard réveillez-vous !

Chaque matin, la cité se réveillait au son des charrettes du maraîcher, des vendeurs à la sauvette, du bruit des garnements espiègles prêts à voler la bourse des plus riches, mais ce matin-là, les ruelles demeuraient silencieuses. La gaieté avait quitté les cœurs et les esprits du peuple.

Assis autour de la table du conseil, les guerriers d'Asgard restaient interdits. La violence du coup, inattendu et sournois, qui leur avait été portée, les avait étourdis. Tyr semblaient être le plus ébranlé par l'événement de la nuit. C'était lui que l'on était allé quérir.

Attirée par la foule hagarde et rassemblée dans la rue, la garde avait fait la macabre découverte. Immédiatement et en tentant de disperser les badauds fureteurs, deux Einherjar avaient couru vers le palais pour en avertir leur capitaine. Devant le tableau sanglant, Tyr, sidéré, avait alors saisi toute la gravité de ce massacre. Les soldats étaient une perte, certes, et ils avaient surtout échoué à protéger la cité malgré leur sacrifice. Mais ce qui le taraudait n'était autre que les inscriptions peintes à la hâte. Celles-ci s'avéraient bien plus dangereuses car le dieu de la guerre le savait bien, les mots devenaient parfois les armes les plus redoutables.

« C'est Vidar », lâcha Sif en brisant le silence.

Les mâchoires crispées et le poing fermé sur la table, la guerrière qui avait endossé son armure observait les autres qui, tout comme elle, n'avaient pu prédire cet incident.

« Un acte sournois perpétré en pleine nuit, une mise en scène outrancière, des mots effrontés, il n'y a aucun doute, précisa Brünehilde. Ce ne peut être que les agissements de ce gamin vaniteux. Oh comme j'aurais dû me charger de lui quand j'en avais encore le temps ! » tempêta-t-elle en frappant la table en chêne.

Le coup surprit Gunnar et Gunner, les deux conseillers royaux qui sursautèrent exagérément. Face à eux, Sigyn mesurait la situation et tentait de déchiffrer les pensées de ses guerriers réunis autour d'elle. La reine redoutait déjà les instants qui allaient suivre. La responsabilité que le trône lui incombait désormais ne pardonnerait aucune maladresse de sa part. Elle saisit alors la lourdeur de la tâche et tous les risques que ses fils encouraient. Loki était de toutes ses pensées et pourtant, il ne fallait pas fléchir.

Un Nouveau Départ (Loki - Tome II)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant