L'indicible chagrin

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Un camaïeu de rose et d'orange naissait dans le ciel. La lueur de l'astre levant brûlait déjà l'horizon et d'épais nuages blancs cotonneux s'accrochaient aux sommets des montagnes d'Asgard. Cela faisait plusieurs heures qu'il errait dans cette vallée encaissée éloignée de tout guettant que son courage pour en finir. Une odeur indéfinissable provenait du lac si placide qui s'étendait devant lui. Au loin, il pouvait entendre le léger bruissement régulier d'une cascade qui berçait ses idées noires.

Le clapotis de l'eau rythmait sa progression vers le centre du lac. Il sentait déjà l'eau glaciale s'emparer de ses chevilles et de ses jambes. Surpris par le froid, il pantelait. Sa respiration s'était accélérée, son visage fermé et enténébré s'était altéré. Une expression de profond désespoir déformait ses traits qui n'étaient plus que tristesse. L'eau avait atteint sa taille et entourait déjà son torse. Il frissonna quand le liquide se glissa entre les couches de ses vêtements. Plus que quelques instants et il pourrait enfin être libéré.

L'aube qui empourprait le ciel était pourtant si belle, mais tout ceci n'était plus pour lui. Son cou touchait désormais la surface noire qui allait bientôt l'engloutir. Le cœur lourd qui battait encore dans sa poitrine l'entraînerait irrémédiablement jusqu'aux plus profondes noirceurs de ce lac glacé. Le dieu du tonnerre n'avait plus la force de se battre. Lorsqu'il sombrerait, son corps lutterait encore pour la vie mais qu'importe.

Immobile, il plongea son regard sur la surface de l'eau ridée par ses lents mouvements. Des ondes et vaguelettes s'éloignaient de lui en animant la palette de rose, d'orange et de bleu qui dessinait, par petites touches de couleur, toute la beauté du jour qui venait de poindre. Il repensait à Asgard, à ceux qu'il avait perdus, à ceux qu'il allait perdre. Rien ne semblait pourtant le détourner de sa volonté.

Face au ciel enflammé, Thor inspira une dernière fois avant de lâcher prise. Il s'abandonna et se laissa submerger par les eaux sombres. À chacune de ses respirations étouffées, l'eau s'engouffrait dans sa gorge pour remplir un peu plus ses poumons. Grands ouverts, ses yeux observaient les ténèbres qui l'invitaient à le rejoindre. Au-dessus de lui, les rayons du soleil transperçaient la surface alors qu'il disparaissait dans l'ombre des abysses.

À quelques lieues de là d'épais nuages recouvraient le ciel d'Asgard. Ternis, les contreforts de la cité des dieux ruisselaient de la pluie qui s'abattait sans relâche. Les dorures du palais semblaient couler sur elles-mêmes comme s'affaissant sous le poids des eaux.

À l'intérieur tout n'était plus qu'agitation. Dans la salle du trône, Sif tentait de répondre aux requêtes du peuple qui ne cessaient de s'inquiéter pour le royaume. La rumeur gonflait un peu plus chaque jour dans les rues de la cité. D'abord un murmure échangé sur la place du marché, cette dernière avait grossi au point de ne plus être contenue. Elle n'était plus qu'un grondement déchaîné, enflé, qui balayait tout sur son passage. Leur souverain les avait abandonnés. Mais qui pourrait bien gouverner la cité ? Qui pourrait être le digne héritier d'Asgard ?

Aux aguets, Tyr avait renforcé la garde autour du palais pour éviter tout rassemblement qui pouvait entraîner des désordres publics. Des soldats sentinelles avaient été envoyés au plus près du peuple pour prendre le pouls de la cité mais le malade montrait des signes de fatigue. Asgard avait peur. Ils devaient à tout prix éviter une émeute et cela allait inévitablement passer par l'annonce d'une nouvelle tête couronnée. Et pour rassurer la cité il fallait choisir un souverain qui pourrait incarner une certaine continuité. Le grand conseil se réunirait dans quelques jours, le temps pour les dieux de toutes les contrées du royaume de faire le déplacement jusque dans la cité au cœur même du pouvoir.

Debout près des immenses ouvertures de la bibliothèque du palais, Sigyn contemplait le paysage au dehors. Dévorées par les nuages noirs qui menaçaient le ciel, les montagnes n'étaient plus que des sommets estropiés. Des rideaux d'eau se refermaient lentement sur la cité. La déesse se noyait dans la pluie battante qui se déversait sous ses yeux. Et comme l'eau qui coulait au dehors des larmes perlèrent bientôt ses joues.

Un Nouveau Départ (Loki - Tome II)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant