La sorcière aux trois noms

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Les vents frais de l'automne s'engouffraient avec tumulte dans les frondaisons rousses des grands chênes et des hêtres des forêts noires qui bordaient les contrées situées à l'est de Vanaheim. Par-delà ces régions vallonnées et mystérieuses aux courbes abondantes se dressaient des monts rocheux où peu de gens osaient s'y aventurer. De là-haut une rumeur sans nom avait descendu la montagne jusqu'à gagner la population qui connaissait, sans la discerner, la terrible présence qui hantait ces lieux. Elle y avait établi son sanctuaire depuis des millénaires et elle ne l'avait pas quitté depuis la dernière trahison du Père de toute chose.

Aussi âgée que les Neuf Royaumes, elle n'était, disait-on, née d'aucune femme ni d'aucun homme. Elle avait simplement toujours été là depuis toujours. Apparue bien avant la naissance des dieux, bien avant la naissance des géants. Mémoire vivante, elle avait tout vu, tout vécu.

Mère de l'infortune, des calamités et de la désolation. On lui prêtait bien des noms et bien des méfaits. Cette créature ensorceleuse, déesse primitive indomptable, avait engendré les pires atrocités. On disait le mal né de son sein et le vice enfanté de son ventre.

Depuis la première trahison d'Odin, elle avait inspiré la perfidie, la vilenie et la malice dans les cœurs des dieux et des hommes. Vengeresse, côtoyant l'immortalité, elle se moquait éperdument de la mort qui ne semblait pas l'atteindre.

Maîtresse de la plus noire magie, métamorphe et femme de feu, elle avait fait naître inquiétudes et tourments chez les dieux et déesses qui redoutaient cette sorcière sans âge. À l'origine de la discorde qui entraîna la première guerre qui vit s'affronter Ases et Vanes, il y a de cela des siècles, elle fut ensuite assassinée par les divinités rassemblées autour d'Odin. Le dieu des dieux, terrorisé par les pouvoirs de cette femme et qui redoutait par-dessus tout d'être renversé par elle, convainquit la plupart des Ases et des Vanes de se débarrasser de cette vile sorcière.

Le crime, perfide et prémédité, fut accompli dans les couloirs éclatants du palais d'Asgard. Par une nuit sans lune, les dieux réunis, qui s'étaient préparés pour cet acte sournois, l'attirèrent dans leur filet. Patiemment, ils attendirent dans l'ombre le moment propice. Lâchement, ils fondirent sur elle et la massacrèrent à coups de lance.

Son corps meurtri avait été transpercé par leurs pointes acérées et brutalement pénétrés à plusieurs reprises par leurs lames froides et dures. Une rivière de sang se déversa alors sur le sol brillant, recouvrant de sa couleur noire l'orgueil d'Odin. Un torrent de douleur s'échappa de ses lèvres. Les murs du palais se souvenaient encore des cris stridents et atroces qu'elle avait poussés quand la toile tendue du piège se referma sur elle.

Consciente mais grièvement blessée, elle avait ensuite été conduite sur un bûcher sous le regard satisfait d'Odin et de ses complices qui la regardèrent brûler en silence, leurs yeux plongés dans le feu consumant qui calcinait sa chair. Elle garderait à jamais fixé dans sa mémoire les visages de celles et ceux qui l'avaient livrée aux flammes. Et alors que ses jambes, son ventre, ses bras et ses cheveux roux étaient dévorés par le feu rougeoyant qui mordait son corps, elle avait maudit ses agresseurs. Entrecoupés d'éclats de rire démoniaques, tous purent se souvenir de ses derniers mots qui furent : « Je reviendrai. Je reviendrai pour vous tous! Et pour voir cette maudite cité brûler! ».

Et la sorcière tint sa promesse. Elle renaquit de ses cendres pour hanter les divinités et leur apporter misère et peine. Par trois fois elle fut tuée par les dieux et sous le commandement d'Odin, qui craignait un peu plus sa puissance. Par trois fois elle fut brûlée sur un bûcher. Par trois fois elle naquit à nouveau. À chaque renaissance, elle s'affubla de noms terribles qui inspiraient crainte et fascination.

Un Nouveau Départ (Loki - Tome II)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant