Prudence ou insouciance

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La nuit frémissante poursuivait sa course, enveloppant de son châle automnal le palais d'Asgard. Une brise fraîche s'engouffra dans les appartements royaux en gonflant les larges voiles mordorés qui descendaient le long de la lourde arcade en pierre de taille s'ouvrant sur le balcon. Vif, le vent balaya la pièce aux murs faiblement éclairés par les feux de la cité. Allongée sur la couche défaite, Sigyn frémit, surprise par la rudesse du froid. Cela faisait depuis quelques heures déjà qu'elle ne parvenait plus à trouver le sommeil. Immobile et tournée sur le côté, Sigyn fixait la gauche du lit, irrémédiablement vide.

Chaque nuit ses yeux se perdaient dans la pièce avant d'être attirés, comme un aimant, vers cet endroit précis de la couche, cette place abandonnée par l'être, désormais absent, qu'elle avait tant aimé. Son corps réagissait à la froideur de l'automne, et pourtant, il brûlait de l'intérieur. Un feu indomptable s'éveillait désormais en elle quand la déesse pensait à lui. Ravivée par des souvenirs viscéraux, Sigyn n'avait plus qu'une pensée, celle de retrouver la chaleur des bras de son époux. La vision de sa chair, vigoureuse et bouillante, contre la sienne, de ses lèvres dévorant son corps, de ses doigts si pressants alors que ses yeux d'émeraude la considéraient avec tant d'avidité, éprouvait sa résistance. La fièvre qui avait envahi ses pensées, s'attaqua bientôt à son ventre qui s'arrondissait doucement pour accueillir l'enfant qu'elle portait. Irrépressible, cette envie tenaillait ses entrailles et gagna son intimité.

Tenace, l'air redoubla d'ardeur alors qu'elle caressait le néant laissé par le corps de son aimé. Les assauts du vent se firent plus rapprochés et intenses. Sans vergogne, il mordait la chair de la déesse qui fut parcourue d'un frisson horripilant. Lasse, elle ne releva pas les couvertures pour se protéger du froid qui l'envelopperait bientôt de son manteau glacial. Peut-être parviendrait-il à étouffer ce désir qui grandissait en elle au point de la faire souffrir ? Peut-être chasserait-il de son esprit ces images concupiscentes ? Elle aspirait à retrouver cette sensualité perdue, à revivre sous des doigts habiles qui caresseraient son corps et l'exploreraient avec ferveur. Et pourtant, elle craignait de céder à ces transports tentateurs si impulsifs, si emportés, qui ne cessaient de l'accabler lorsqu'elle était seule dans les draps immaculés de sa couche glacée par son absence. Elle n'avait aimé que lui, elle ne voulait aimer que lui.

Les yeux brillants d'émotion, Sigyn soupira. Mélancolique, elle se tourna en s'enroulant dans une épaisse peau de loup et posa une main sur son ventre. Elle lui avait donné deux fils et attendait désormais son troisième enfant. Jamais il ne connaîtrait son père. Ce dernier ne le prendrait jamais dans ses bras, il ne l'embrasserait pas avec affection, ni ne lui apprendrait ses tours les plus malicieux. Aucun des jumeaux n'en aurait plus l'occasion. Elle était seule et seule elle devrait les élever.

Alors que le doux bruissement des voilages battus par le vent brisait le silence, une porte grinçante s'ouvrit. Des petits pieds nus, tels un léger clapotis, résonnèrent sur le sol de la chambre et s'approchèrent du lit.

« Maman, chuchota la petite voix. J'arrive pas à dormir. »

Un sourire illumina le visage de la déesse qui se dressa en se tournant vers la voix. Elle vit alors la silhouette d'un de ses fils, debout devant elle.

« Viens, mon chéri », dit-elle en levant les couvertures pour inviter son fils à la rejoindre.

Aussitôt, l'enfant grimpa sur le lit et fut accueilli par les bras de sa mère qui lui donna un tendre baiser sur la joue. Sans dire un mot, le garçon se recroquevilla contre elle en cherchant ses caresses.

« Papa me manque, lâcha-t-il tout confus.

— Je sais, mon amour, dit-elle en l'embrassant et en resserrant son étreinte. Il me manque aussi. »

Un Nouveau Départ (Loki - Tome II)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant