Épilogue

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Une ceinture rougeoyante incendiait l'horizon. Le soleil terminait sa course. Il ne tarderait pas à être dévoré par les cimes des arbres peuplant les forêts impénétrables qui bordaient les terres à l'est de Vanaheim. Le crépuscule, fugace et éphémère, se consumait. Ses brefs et derniers instants de vie seraient emportés par la nuit, sombre et inquiétante qui recouvrirait les forêts noires de cette région isolée.

À mesure que la lumière dépérissait pour ne devenir qu'une aura évanescente, les vallons courbes et généreux d'où s'élevaient chênes, frênes et hêtres millénaires se dessinaient telles des ombres charbonneuses étirées et grandissantes. Un vent faible chatouilla le faîte presque nu de ces géants endormis, témoins passifs de la nuit qui avalait le jour pour ne peut-être plus jamais éclairer cette face du monde sombrant déjà dans le désespoir.

La brise, légère, emportait les dernières feuilles, spectres noirâtres balayés au loin. L'heure était venue pour elles de mourir. Car tout avait un temps. Les végétaux finissaient par se faner, les animaux disparaissaient, hommes et dieux s'éteignaient. Même les empires et les dynasties assistaient avec nostalgie et angoisse à leur inévitable déclin. Rien ne dure... Rien n'est à prendre pour acquis... Encore fallait-il avoir la lucidité de le percevoir avant qu'il ne soit trop tard. Mais il est des forces de la nature qui survivent. Tapies dans les ténèbres, elles attendent le moment propice avant de frapper et alors la mort et la ruine suivent bien souvent leurs pas.

D'abord murmure, le vent se hissait sur les hauteurs. Il tutoyait presque la neige éternelle qui s'accrochait au roc de la montagne, en créant des courants d'air rapides et sifflants. Surplombant les bois décharnés et agonisants qui semblaient se tordre sous la blancheur du clair de lune, le démon des airs parcourait la cime de la forêt. Insouciant et joueur, il se rapprochait d'une silhouette menaçante qui dominait toute chose alentour. Là-haut, vers les sommets des mystérieuses montagnes rocheuses qui découpaient la voûte céleste trouée d'étoiles, se terrait une créature séculaire. Patiente et fourbe, elle attendait dans l'obscurité de sa caverne l'instant de sa renaissance.

Alors que l'air, enhardi par son ascension du sommet, fouettait l'entrée de la cavité où  la terrible créature y avait étendu son domaine, un cri déchira la nuit. Long et aigu, il était celui d'un bébé qui réclamait le sein de sa mère. Alors que les pas d'une ombre, enveloppée dans un manteau, approchaient de la bouche édentée de la caverne, trou de serrure s'ouvrant sur les ténèbres, un chapelet de cris tout aussi stridents et plaintifs retentit dans la nuit. La silhouette qui portait le nourrisson vers son destin pénétra les lieux.

Une lueur orangée la guida ensuite vers les profondeurs de la terre. L'air, capiteux et lourd, se mêlait à une chaleur moite et apaisante. Une sensation étrange, primitive, invitait à l'abandon, au lâcher-prise. Baigné d'humidité et de tiédeur, cet antre accueillant attirait autant qu'il fascinait. Tout y était si doux, si agréable, si chaud, tel le ventre d'une mère.

Le bébé s'était tu. Le sol, meuble et terreux, étouffait les pas de la silhouette qui osait s'aventurer dans cet abîme sans nom.

Poursuivant son chemin, la mystérieuse ombre arriva enfin dans un boyau plus large. Au centre de cet espace, et entouré de pierres, un feu crépitait. Tout autour, des femmes agenouillées préparaient des mixtures étranges dans des bols en bois. Sans avoir remarqué la présence qui venait d'entrer, elles continuaient à piler dans des mortiers os d'animaux et graines de sureau, à briser des feuilles de fougères séchées et à écraser des champignons bruns. Vêtues de simples tuniques claires, leurs longs cheveux ondoyaient sur leurs dos alors qu'elles s'affairaient à la tâche.

Subrepticement, l'ombre qui tenait le nouveau-né se dirigea vers l'obscurité qui régnait au fond de la cavité. Un rideau de cordes tendues était accroché au plafond de roche. S'y suspendait toute sorte d'ossements, de dents et de crânes d'apparence humaine ou animale. Les trous béants de ces têtes vides semblaient dévisager tout intrus. Derrière, et dans les ténèbres, se trouvait une couche, amas de peaux de loups gris et d'ours bruns. De petits bruits doux s'échappèrent des bras de la silhouette. Ce n'était que le nourrisson qui gazouillait alors qu'elle écartait délicatement les pans des voiles sinistres qui obstruaient sa vue.

Un Nouveau Départ (Loki - Tome II)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant