Le chasseur débusqué

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Depuis quelques heures déjà, il marchait dans les bois épais et sombres qui tapissaient les hauteurs du royaume d'Asgard. Épuisé, l'astre du jour perçait facilement désormais le feuillage qui s'éclaircissait en cette saison automnale. La fin de la journée approchait à grands pas et les pensées du dieu solitaire, qui arpentait ces lieux, se tournaient vers l'installation d'un campement pour la nuit. Vivre en plein air, au milieu de la nature, écouter le chant des oiseaux, sentir l'odeur de la terre humide et de la mousse emplir ses narines, se réveiller en frissonnant de la morsure de la gelée matinale, tel était son unique bonheur. Et ce fut avec un ravissement inégalé qu'il avait enfin pu quitter le palais et la resplendissante cité. Ull préférait, et de loin, la vie d'ermite à se perdre au milieu des forêts du royaume, à vivre de chasse sans parfois jamais croiser âme qui vive.

Ce fut avec peine qu'Hermod, dieu messager et cadet de Balder - ce dernier étant le benjamin de la fratrie de blonds composée également de Höder, l'aîné -, l'avait enfin trouvé, dissimulé dans les bois. Le grand guerrier à la longue chevelure rousse et à la barbe fournie tressées avait alors appris la disparition de Thor. Par dépit et parce qu'il n'avait pas vraiment le choix, il avait accepté comme beaucoup d'autres de participer au grand conseil. Sans hésiter, il avait alors donné sa voix pour Sigyn devant un Vidar résolument insolent.

Placide et sous le soleil couchant, le dieu de la chasse et de l'hiver s'en allait par les bois qui entouraient la clairière qu'il avait choisie. Le bruit des feuilles, sèches et craquantes qui couvraient le sol, accompagnait la quête du guerrier silencieux qui arpentait la forêt dépourvue de son manteau. Lorsqu'il trouva suffisamment de branches et branchages, il les déposa dans la clairière et les organisa en bûcher. Tout autour, il prit soin de placer de lourdes pierres grises qui lui permettraient de contenir les braises.

Bas, le soleil déversait encore par myriades sa lumière mourante et dorée sur le dieu solitaire, aux bras et au visage couverts de tatouages. Devant le feu qui s'allumait, Ull s'empressait de tailler quelques flèches avant de prendre son arc et de s'enfoncer à nouveau dans la forêt de chênes impénétrable.

Au retour d'une chasse fructueuse, le dieu s'installa sur un gros rondin de bois devant le feu de son campement de fortune. Ainsi, il commença par dépiauter trois lièvres qu'il embrocha sur des piques avant de les placer sur les flammes désormais ardentes.

La nuit tombait peu à peu, s'insinuant entre les troncs nus des arbres jusqu'à recouvrir les lieux d'un voile ténébreux. Seul, près du feu crépitant et humant la bonne odeur de fumet qui se dégageait des carcasses en train de rôtir, Ull réfléchissait encore au vote du conseil. En attisant la fournaise du bout d'un bâton, il pouvait sentir la chaleur du feu piquer ses joues et éveiller ses pensées. La jeune reine n'était peut-être pas le meilleur choix pour gouverner une cité guerrière. Elle n'était peut-être pas du tout à la hauteur, mais qui le serait ? Vidar menaçait de s'en prendre à la cité, à son peuple, mais avant tout, à ceux qui avaient voté pour Sigyn. Ce gamin écervelé avait des ambitions vengeresses et mettait à la fois en danger la paix d'Asgard et des Neuf Royaumes. Mais qu'importe après tout ! Pourquoi devait-il s'en soucier ? Il avait voté. Il avait fait son devoir. Maintenant ils n'avaient qu'à régler le problème.

À quelques mètres de là, une ombre rapide et fugace s'avançait dans l'obscurité. À pas comptés, elle se dirigeait inexorablement vers le campement du dieu qui, noyé dans sa méditation, ne discernait pas la silhouette gracile et agile qui grignotait de plus en plus l'espace qui la séparait de lui. Le chasseur devenait le chassé.

L'eau à la bouche et transporté par le parfum de la viande grillée, Ull se saisit d'une broche et croqua dans la chair sèche mais goûteuse de l'animal. Sans sauce, sans épices, sans fruits. Voilà la meilleure manière d'honorer une telle bête. Pour rien au monde les plats des cuisines du palais lui manquaient.

Un Nouveau Départ (Loki - Tome II)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant