Nouveau monde, nouveau credo

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Lorsqu'ils regagnèrent la salle principale, Amora leva un bras en l'air tout en se dirigeant vers l'estrade où les effeuilleuses avaient pour habitude de mener leur revue. Ce geste anodin, presque banal, réduisit immédiatement au silence la musique qui, depuis les lourdes enceintes noires, se déversait sur les noctambules.

Après être montée sur la scène, l'Enchanteresse se retrouva sous le feu des projecteurs. Sur la droite et dans l'ombre, Loki et Verity devinrent les spectateurs passifs de la représentation qui allait se jouer. En véritable actrice de premier plan, Amora, aguicheuse dans son élégant et attrayant bustier vert, attirait tous les regards.

Des femmes entièrement vêtues de noir et au corps athlétique progressèrent dans la salle en file indienne. Elles s'immiscèrent au milieu de la foule, désormais tout ouïe, et se postèrent discrètement, sans éveiller les soupçons, à chaque entrée et chaque sortie. Loki remarqua non sans inquiétude le manège qui avait cours. Puis ses yeux croisèrent ceux d'Amora où se reflétait un éclat singulier qu'il lui avait déjà vu et qui laissait deviner le stratagème implacable, sournois et infaillible, qu'elle avait certainement concocté pour élaborer un plan.

Au milieu des dizaines de femmes, sorcières ou non, tournées vers l'Enchanteresse, et qui étaient prêtes à boire la moindre de ses paroles, quelques hommes, dont la volonté propre n'était plus que guidée par le désir et les charmes de celles qui les envoûtaient, se tenaient hébétés et étourdis. Interdite, Verity commença à paniquer face aux précautions étranges des femmes de main de la sorcière quand elle reconnut le visage d'un homme parmi la foule hagarde. Cet homme brun aux pommettes saillantes et au regard bleu était celui qui l'avait empêchée de suivre Loki la première fois qu'ils étaient entrés dans ce repaire.

Quand le silence s'établit enfin dans la salle, l'Enchanteresse commença son discours.

« Femmes, réveillez-vous ! Le moment est venu d'obtenir justice, insista-t-elle en regardant chacune de celles qui formaient son auditoire. Regardez autour de vous. Regardez-les », répéta-t-elle d'un ton méprisant en désignant du doigt les quelques hommes qui étaient dans la salle.

À l'image des autres hommes, Loki sentit des regards durs et défiants fondre sur lui.

« Qui leur a donné le droit de nous dominer depuis des siècles ? Qui leur a donné le droit de nous opprimer ainsi ? Au nom de quoi ? De leur prétendue supériorité ? De leur force ? De leur virilité ? Ils ont bafoué nos libertés et continuent de nous bâillonner et de nous ligoter au nom de cette société qui n'a été édictée que par eux et pour eux seuls. Il est temps de s'opposer à ce pouvoir absolu, arbitraire et illégitime. Il est temps de s'affranchir de leur emprise néfaste. »

Toujours près du dieu du chaos, Verity observait Amora et ne put s'empêcher de trouver dans ses paroles une certaine justesse même si c'est propos faisaient croître en elle une certaine méfiance.

« Mères, filles, sœurs, entendez-moi !, lança-t-elle à la foule qui, silencieuse, l'écoutait religieusement. Laquelle d'entre vous n'a pas été un jour méprisée, humiliée ou blessée par un homme ? Cela pouvait être un regard, une parole, un geste mais aussi des attouchements qui se voulaient caresses, des caresses qui sont devenues des coups de poing », dit-elle d'une voix émue.

Amora n'avait pas mesuré l'émotion qui la submergerait quand elle évoquerait les violences. Des souvenirs terribles refirent surface. Des souvenirs qu'elle aurait aimé oublier mais qui ne l'avait jamais quittée. Elle ne parvenait pas à effacer le visage effrayant de son père lorsqu'il la battait après s'être acharné sur sa mère. Mais le monstre affamé en voulait toujours plus. Et il avait alors commencé à rejoindre les deux filles dans leur chambre. La jeune Enchanteresse qui n'avait pas encore découvert ses capacités magiques, avait tout fait pour protéger sa sœur de l'ire et de la perversité de la bête qui avait jeté son dévolu sur elles. Chaque nuit, elle voyait l'ombre approcher son lit avant de s'y glisser. Elle pouvait encore sentir son odeur graisseuse, sa peau crasse, son souffle fétide qui la répugnaient.

Un Nouveau Départ (Loki - Tome II)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant