Chapitre 19 Le cerf

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La pluie formait un voile dense. Les feuilles des arbres ployaient sous les gouttes qui tombaient doucement. La terre était gorgée d'eau. Nos pieds s'y enfonçaient et de petites branches craquaient sous nos pas. Nous marchions courbés derrière les parents de Tristan. Leur fils était à mes côtés, Anna et Max devant nous. Les oiseaux, que les rayons du soleil venaient réveiller, chantaient en suivant notre progression. L'œil aux aguets nous inspections chaque recoin. Lorsque nous apercevions une empreinte nous devions l'attribuer au bon animal. Nous faisions de même pour les excréments et les cris. Je m'acquittais avec joie de ce travail de traceur. Tristan était très doué, il ne m'avait pas menti. Des jets lumineux perçaient la cime des grands chênes. Ils semblaient nous dessiner, dans le matin, un chemin féérique.

Soudain, une ombre bougea au loin. Céline s'arrêta et arma son fusil. Elle nous fit signe d'avancer lentement et en silence. Anna mima qu'elle tirait sur l'imposante silhouette. Un sourire se dessina sur nos lèvres. Une détonation retentit. Max et moi sursautâmes. Anna et Tristan s'accroupirent le regard fixé sur l'animal majestueux qui fonçait droit sur nous. D'immenses formes entouraient sa tête. Son pelage brun était, par endroit, rouge. Une seconde détonation. Il tomba dans un gémissement, les yeux écarquillés. J'observais la scène pétrifiée. Le visage de la bête était tourné vers moi. Ses naseaux se soulevèrent dans un dernier soupir. Les larmes me montèrent aux yeux. Max hurla serrant les paupières face à ce paysage macabre. Du sang s'écoulait du trou, au milieu de son front, que la balle avait laissé. Je tremblais. Sans aucune émotion nos deux amis aidèrent Céline et Fabrice à retirer la peau du splendide cerf. Ils agissaient mécaniquement. A ce spectacle, je vomis, aussitôt imitée par Max. Nous n'étions décidément pas fais pour la chasse. Alors que Tristan me parlait d'une voix rassurante, je ne pouvais détourner le regard. Je murmurais un rapide pardon à l'animal avant de me réfugier dans ses bras. Anna tentait quant à elle de calmer Max qui criait au meurtre. Fabrice essayait, pendant que sa femme dépeçait la proie, d'expliquer à mon ami que ce n'était pas un meurtre, que s'ils l'avaient abattu c'était pour nous nourrir et que c'était la vie. Céline rigola quand Max, têtu, lui lança un regard noir en marmonnant qu'il préfèrerait mourir de faim. Elle expliqua tendrement :

- Ecoute, c'est normal d'être révolté et dégoûté. C'est la première fois que tu assistes à cela. Tu sais, quand j'étais petite, j'ai eu exactement la même réaction que toi. J'ai même arrêté de manger de la viande pendant un mois ! Et regarde ce que je suis devenu. Les enfants, vous aller devoir vous endurcir. La vie n'est pas facile, vous le savez en plus. Pour manger il faut chasser et pour chasser il faut tuer, c'est comme ça. Rentrons maintenant.

Nous hochâmes la tête. Chacun de nous se plaça autour du lourd gibier pour le porter. L'odeur du sang déclenchait, chez moi, des haut-le-cœur. La vue de cette masse inerte m'était insupportable. Arrivé chez Tristan ses parents nous demandèrent d'aller nourrir les habitants de la basse-cour. Le regard du cerf me hantait. Je n'arrivais pas à oublier les pupilles dilatées par l'horreur, qui, entourées par des iris marron clair, me suppliaient de les laisser vivre.

- Azy, tout va bien ?, me demanda Tristan.

Je levais mes yeux vers lui. Ils étaient remplis de larmes. Elles coulèrent le long de mes joues quand je lui répondis :

- Je n'arrive pas oublier ce qu'il s'est passé. Tuer ce n'est pas pour moi.

- Ce n'est pas pour moi non plus, assura Max en passant un bras autour de mes épaules.

- Ça ne peut pas être pour tout le monde. Dite-vous qu'il n'a pas souffert et que grâce à lui notre clan ne mourra pas de faim, répliqua Anna.

- Chasser est naturel : chaque animal sauvage est une proie et un prédateur. C'est le cycle de la vie, assura Tristan. La première fois que je suis aller chasser, ce n'est pas une bête que j'ai vu morte. C'était des êtres humains, des Lions, affamés. Tous les jours je me dis qu'il vaut mieux que l'on tue des animaux plutôt que notre propre espèce.

Un silence glacial s'abattit. Les poules picotaient nos chaussures en quémandant les graines que nous tenions. Je laissais les miennes tomber mollement. Elle se jetèrent dessus en caquetant. Certaines battaient des ailes pour survoler, en vain, les chanceuses qui se trouvaient en première ligne.

Nous ramassâmes ensuite les œufs puis nous rejoignîmes la horde de parents qui préparaient un pique-nique. Typeur courait entre les adultes qui soulevaient les plats à son passage pour qu'il n'y touche pas. J'esquissais un faible sourire. Des assiettes et des couverts étaient disposés dans l'herbe. Nous nous servîmes puis nous assîmes. Le chien fut emmené dans la maison pour éviter qu'il mange notre déjeuner. Au menu : des carottes, des concombres, des tomates, du porc et pour le dessert des fraises des bois fraîchement cueillies. Tout se passa dans la joie et la bonne humeur. Le souvenir du cerf s'éloignait un peu. Max nous lisait ce qu'il avait écris la veille, Anna nous racontait comment elle s'était battue avec Mattéo un petit emmerdeur qui en pince pour elle. Je les écoutais en caressant Typeur. Tristan sculptait tranquillement. Lorsqu'il eut fini il nous montra son œuvre. Nous étions tous les quatre gravés sur le bois, Camille nous accompagnait.


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