Le soleil était haut dans un ciel dégagé. Une brise légère soufflait dans mon cou trempé de sueur. L'encolure d'Etoile, un magnifique cheval de trait marron, bougeait au rythme de ses pas. Les piques de la herse en bambou, attachée à ma selle par de solides lianes, grattaient le sol fertile que nous avions désherbés. Je dirigeai Etoile pour que l'on y trace de parfaits sillons. Nous devions agrandir les étroits champs. A notre suite, ma mère, mon père, mon frère et sa femme plantaient des graines.
Plus loin, nos sauveurs et d'autres construisaient des cabanes de bambou, coupaient des arbres, arrachaient des plantes pour libérer de la place. Les clans avaient décidé de rester ici. Tout le monde s'y plaisait et notre installation ne dérangeait ni Manuel, ni Arthur, ni Peter, ni leur famille. Nous étions les bienvenus.
Le merveilleux chant des oiseaux, le vent dans la dense végétation, le bruit des travaux (les couteaux, le craquement des bambous), les beuglements du bétail, les jappements heureux de Typeur, rythmaient notre progression. Tandis qu'Anna, Alphonso, Yann et Aurore ramassaient des bananes, Tristan lançait des bouts de bois à un chien tout content.
- Typeur ! Va chercher !
Presque complètement guéris, il courait à vive allure en direction du bâton. Sa queue s'agitait gaiement, sa silhouette disparaissait un instant entre les arbres. Quand il revenait, son maître le félicitait et le caressait vigoureusement. Quelques fois, il m'adressait un sourire rayonnant accompagné d'un signe de main. Son amour se lisait sur ses traits fins.
Tous les deux, nous avions des projets d'avenir. La jungle n'était guère l'endroit où nous voulions fonder une famille. La forêt, près des montagnes enneigées, était bien plus accueillante. Elle n'était pas loin du campement. Cependant, nous avions décidé d'attendre d'être assez autonome pour partir. Nos amis nous soutenaient dans cette aventure et voulaient même nous accompagner. Ensemble, nous quitterions le cocon familial.
Je mis pied à terre. Mes muscles protestèrent. Les heures passées à cheval les mettaient à rude épreuve. Mon père posa une main sur mon épaule :
- Tu as fait du très bon travail.
- Nos légumes pourront bien pousser !, s'extasia Romain en me faisant un clin d'œil.
En effet, les traits étaient bien parallèles, séparés à égale distance. L'odeur de la terre, fraîchement retournée, chatouilla mes narines. La fierté étreignit mon cœur. J'essuyais mon front trempé et soupirai, satisfaite.
- Allé, on a tous mérité un peu de repos, ajouta ma mère en embrassant ma joue.
Nous en avions bien besoin. La chaleur rendait le travail difficile. Les rayons violents qui tapaient nous faisaient mal à la tête, nous forçant à nous arrêter régulièrement.
Je libérai mon cheval de son lourd fardeau et le ramenai dans son pré où il put gambader avec les autres. Ces chevaux sauvages, domestiqués, vivaient normalement plus loin, derrière les montagnes. De grandes journées de capture étaient souvent organisées. Nous partions, à cheval, aux premières lueurs du jour, équipés d'un lasso de lianes. Nous avions besoin de ces animaux pour nous déplacer sur de longues distances, pour tracter des objets trop lourds pour nos bras, pour faciliter les plantations. Ils participaient à notre survie.
- Azy ! Viens !, hurla Tristan.
Les autres faisaient de grands signes de mains, m'appelant silencieusement. Je les rejoignis. Arrivée à leur hauteur, ils s'accroupirent dans les herbes hautes. Ne comprenant pas, je les imitais. Plusieurs minutes s'écoulèrent. Alors que j'allais poser une question, Tristan mit un doigt sur ma bouche, m'intimant le silence. Soudain, un essaim de papillons vint se poser sur l'arbre, couvert de fleurs roses, juste en face de nous. J'écarquillai les yeux. Des centaines d'ailes aux couleurs splendides s'ouvraient et se fermaient en même temps comme si leurs cœurs battaient ensemble. Je rampai jusqu'au tronc d'un bananier et profitai de l'ombre de ses feuilles. Mon regard était toujours fixé sur ce spectacle fabuleux. Tristan s'assit à mes côtés, Typeur s'allongea près de nous la langue pendante.
- C'est beau hein !, me dit Alphonso. Annabelle appelle cet arbre, l'arbre aux papillons. Tous les jours, à cette heure-là, ils viennent s'y poser.
Les papillons s'envolèrent. Alphonso posa son panier de banane et s'étendit dans l'herbe. Presque aussitôt, Aurore lui sauta dessus en criant :
- Banzai !
Anna et Yann firent de même. Le pauvre Alphonso était enseveli. Seuls ses mains et ses pieds sortaient, incapables de se défendre. Tristan et moi échangeâmes un regard complice et hurlâmes en cœur :
- A l'attaque !
Nous atterrîmes violemment sur la masse de corps.
- Je vous déteste !, rouspéta Alphonso. J'ai compris, plus jamais je ne me couche par terre si vous êtes dans les parages ! Je ne ferais plus jamais cette erreur, promis !
Amusés par son touchant discours, nous roulâmes sur le côté. Il fallait aussi le laisser respirer. Il nous lança un regard noir et une banane. Elle tomba mollement à deux mètres de nous. Nous n'avions jamais vu quelqu'un d'aussi maladroit. Nous rîmes pendant dix minutes, les larmes aux yeux. Mon ventre me faisait mal.
- Je ne vous permets pas !
Nos rires redoublèrent. Quand nous nous arrêtâmes, un sentiment de bonheur nous enveloppa. Durant ce fou rire, tous nos problèmes semblaient s'être envolés. Les plaies du passé s'étaient refermées et laissaient de discrètes cicatrices. Une nouvelle vie commençait.
Nous étions libres.
Il n'y avait plus de Zodiaque, plus de clans, plus de chefs, plus de frontières.
Le monde nous tendait les bras.
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Le Zodiaque//Réécriture/
Ciencia Ficción2032 Les continents entrent en collision tuant des milliards d'êtres humains. 2100 Tous les survivants vivent dans le Zodiaque : un endroit sûr et paisible où ils sont séparés en douze clans distincts représentant chacun un signe astrologique. Ch...