Chapitre 27 La cérémonie des morts

39 4 0
                                    


Des bougies avaient été disposées le long des grands drapeaux. Les petites flammes vacillaient. L'ambiance était chaleureuse. Ce long couloir nous guidait jusqu'à la berge. Les ombres avançaient lentement vers le bas de la colline en brandissant des torches. La lune pleine se reflétait dans la vaste étendue d'eau. Elle nous baignait dans de douces lueurs argentées. L'horizon sombre ne nous laissait voir qu'un bleu lugubre. Devant ce long cortège, quatre hommes du clan des Capricornes portaient une barque.

Tous les membres des clans se réunissaient à l'extérieur. Nous étions environ 2 400. Nul n'osait approcher les inconnus. Nous nous craignions. Une concurrence muette nous opposait. Je ne savais pas d'où cette horrible méfiance venait. Sans doute des anciens conflits ? En tout il y avait eu deux guerres. Elles n'avaient pas duré plus de trois semaines car les pertes, étant trop considérables, menaçaient l'espèce humaine d'extinction. Or le Zodiaque avait été créé pour que celle-ci survive.

Les Béliers posèrent délicatement la barque dont le fond était recouvert de paille et d'herbes sèches. Chacun y déposa ce qu'il voulait en souvenir de ses proches disparus. Tristan y mit la sculpture qu'il avait faite de nous cinq. J'y plaçait ma poupée Sophie, Max notre poème Vue polaire et Anna une broche ayant appartenu à sa sœur Camille. Même si nous honorions une personne morte avant les catastrophes nous ne pûmes retenir notre émotion. Nous pleurâmes. Max, même s'il ne l'avait pas connu, laissa couler quelques larmes. Je ne pleurais pas que pour mon ami défunte mais aussi pour mes animaux et les autres êtres humains. Nous abattîmes les torches et poussâmes l'embarcation flamboyante. Elle s'éloigna dans un clapotis. Le feu la consumait en un brasier brûlant. Des voix s'élevèrent et crièrent des noms. Les clans hurlaient ensemble leurs disparus.

- Luna !

- Antonio !

- Samuel !

- Marie !, rajoutais-je.

- Elena !

- Cassandre !

Des centaines d'autres noms fusèrent dans l'obscurité. Ces catastrophes avaient provoqué énormément de morts. La tristesse serra mon cœur. La peur broya mes tripes. Combien d'hommes et de femmes allaient encore périr ? Allions-nous réellement nous en sortir ? Alors que nous nous apprêtions à rentrer, Typeur aboya coupant court à mes pensées. Il courra. Au loin, un chien fonçait dans sa direction.

- Typeur ! Viens-ici !, appelais-je.

- Marco ! Au pied !, répondirent les silhouettes précipitées qui secondaient l'animal inconnu.

Je m'élançais suivie par mes amis. Les deux bêtes se sautèrent dessus la queue battante. En arrivant à leur hauteur je soupirai, soulagée. Ils ne s'entretuaient pas, ils jouaient. Mon regard croisa celui, rassuré, d'un garçon brun aux yeux bleus profond. Je rougis lorsqu'il me sourit. Une fille blonde et un garçon aux yeux marron l'accompagnaient. Nos souffles formaient de petits nuages.

- Salut, je m'appelle Yann. Voici Aurore et son frère Alphonso. Nous sommes des Béliers. Ravi de faire votre connaissance. Nos chiens ont l'aire de bien s'entendre.

- Je suis Azylis. Et voici Anna, Max et Tristan. Nous sommes Poisson. En tout cas pour le moment ils ne se dévorent pas.

Les deux concernés se mordillaient gentiment. Le dit Alphonso prit la parole :

- La situation est particulière n'est-ce-pas ? Jamais je n'avais imaginé voir des Poissons un jour. Au moins, les mythes à votre sujet sont tous faux. Ça me rassure de savoir que vous avez, comme nous, deux jambes.

Il allait continuer mais Anna le coupa.

- Attends quoi ? Il y a des mythes sur nous ? Quels genres ?

- On raconte que vous pouvez respirer sous l'eau. Que vous êtes munis de branchie et qu'au lieu d'avoir de jambes, vous avez une queue de poisson pour nager.

- Je n'ai jamais entendu pareilles sottises, murmura Tristan.

- J'aurais largement préféré que vous nous voyez comme des sanguinaires qui se nourrissent de chaire humaine, dit Anna.

- Espérons qu'une guerre éclate pour qu'on voit qui des Béliers ou des Poissons sont les plus sanguinaires, répliqua Aurore.

Mon amie s'approcha d'elle menaçante.

- T'inquiètes pas poulette, de nous deux je suis la plus sadique.

Max ne put s'empêcher d'hocher la tête avec ardeur.

- C'est ce qu'on va voir, répondit l'autre en sortant un couteau de sa poche.

Un sourire carnassier se dessina sur son visage. Alors que l'on s'apprêtait à les séparer pour éviter un massacre, elles éclatèrent de rire. Nous nous dévisageâmes surpris. Elles étaient faites pour s'entendre celles-là apparemment. Les fausses hostilités passées nous nous liâmes d'amitié. Alphonso avait un humour que seul Max comprenait puisqu'ils avaient exactement le même. Yann était un artisan doué et un cavalier passionné. Aurore nous montra une de ses créations. Sur la lame d'un couteau de magnifiques roses étaient tracées.

- Je t'en ferais un aussi. Enfin si je retrouve mon atelier parmi les flots.

Il m'adressa un clin d'œil. J'entendis Tristan bougonner. Mon ami n'appréciait pas tellement Yann. Il admirait ses œuvres et ils en discutèrent pendant des heures mais dès qu'il s'adressait à moi, Tristan montait sur ses grands chevaux. Heureusement ses réactions agaçantes ne gâchèrent pas notre soirée. Nous discutâmes de notre vie au sein de notre clan.

Les Béliers avaient une organisation particulière. Ils n'avaient pas de grotte de ravitaillement vivant de leurs propres ressources. Chacun construisait sa maison où bon lui semblait, ils n'avaient donc pas de regroupements comme nous. Un immense lac se tenait au centre de leur territoire. Il y trônait une petite île. Aussi tous les enfants, à l'âge de 10 ans, apprenait à chasser et à pêcher. C'était obligatoire. Je repensais à mon premier et dernier jour de chasse. Je n'aurais pas pu vivre dans leur clan. Au bout de peut-être cinq heures de conversations animées nous regagnâmes nos dortoirs.

Le Zodiaque//Réécriture/Où les histoires vivent. Découvrez maintenant