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- Je peux savoir ce qu'il se passe ici ?

S'il attendait une réponse de ma part, je suis incapable de le réaliser. En revanche, ce n'est pas le cas de l'homme derrière moi qui prend la parole avec une voix soudainement menaçante et sombre. Un rire aigre retentit dans sa gorge à m'en donner la chair de poule.

- Tiens tiens tiens, Remons, quel honneur.

- À quoi tu joues Jacob? demande Nil tout en restant de marbre, scrutant son interlocuteur les mains dans les poches.

Si habituellement l'indifférence habite les traits du jeune homme, à cet instant, j'arrive à apercevoir un certain agacement qui émane de lui. Se tenant droit et ne montrant aucun signe d'hésitation, il observe Jacob avec fermeté, ne le quittant pas une seconde des yeux. Comme si la bataille avait lieu plus dans le regard que dans les mots.

- Mêle toi de ce qui te regarde tu veux.

Me trouvant en plein milieu d'une scène de western, mon regard alterne de l'un à l'autre des individus qui semblent déjà se connaître. Celui en costume blanc fait un pas en avant pour appuyer son avertissement, mais son geste ne semble en rien affecter celui qui se trouve face à lui et qui reste complètement de marbre.

- Joue pas à ça Jacob. Tu ne voudrais pas qu'on reproduise ce qu'il s'est passé la dernière fois.

Les questions fusent dans ma tête alors que je continue d'observer les deux individus. L'un semble carrément perdre pied pendant que l'autre mène la danse. J'aperçois Jacob serrer la mâchoire, et la référence à un évènement antérieure m'affirme qu'ils se connaissent bel et bien. Maintenant à quelques centimètres l'un de l'autre, Jacob pointe son index sur le torse du meneur de jeu.

- Ne t'avise pas de jouer au plus malin avec moi Remons. Nous savons tous les deux que je n'étais pas en état, et je ne te louperais pas la prochaine fois, crache-t-il avec dédain.

- La prochaine fois, répond Nil en appuyant avec fermeté sur ces mots, je ne m'arrêterais pas.

- Toujours à te foutre dans la merde huh ? Je commence à comprendre Julie. 

Les deux hommes se livrent à un dernier combat de regard et je crains un instant que l'un ne saute à la gorge de l'autre. Nil foudroie Jacob du regard, et celui-ci  finit par contourner son adversaire en jurant dans sa barbe. Pendant quelques minutes, le silence règne de nouveau sur la terrasse et je suis incapable de penser normalement, réalisant seulement la scène qui vient de se produire sous mes yeux. Que voulaient-ils dire par la dernière fois? Qu'est ce que Jacob a pu faire? Est ce qu'ils se sont battus ? Pourquoi a-t-il dit qu'il n'était pas en état ? Et qui est cette Julie ? Pendant que les questions continuent progressivement de germer dans mon esprit, une bourrasque de vent me rappelle brutalement où je me trouve et me sort de mes pensées. Je remarque alors que Nil n'a pas bougé d'un pouce et son regard semble encore plus perdu que le mien, fixant le sol avec intensité. C'est bien la première fois que je le vois dans un tel état d'égarement et je me sens rapidement de trop, comme si je violais un moment d'intimité face à ses réflexions. 


Alors que moi aussi je m'apprête à le contourner pour rejoindre l'intérieur de la maison, je sens une main m'attraper le bras avec douceur pour m'arrêter, et une sensation électrique me parcours tout le corps telle une plume qui vous caresse la peau avec légèreté. Je lève les yeux vers l'individu qui me maintient à sa hauteur, et je suis surprise par toute la vulnérabilité qui est lisible dans ses yeux alors qu'il me regarde pour la première fois depuis son altercation. Mais à peine ai-je cligné des yeux qu'il recouvre un masque d'indifférence, comme s'il avait entendu mes propres réflexions et qu'il venait de réaliser son erreur. Son regard dévie ensuite sur sa main toujours autour de mon bras et comme s'il prenait soudain conscience de la situation, il la retire précipitamment avant de la ranger une nouvelle fois dans sa poche.

À travers toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant