20 - MATHIEU

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Le vide semble l'appeler, comme un écho lointain qui résonne dans l'âme de Mathieu. En regardant en bas de la falaise, il n'a qu'une envie : sauter. L'idée de disparaître, de se fondre dans ce gouffre béant, est presque séduisante. Il se sent déjà mort à l'intérieur, persuadé que le monde se porterait mieux sans lui. Il porte la bouteille à ses lèvres, avalant une gorgée de whisky bon marché, les yeux rivés sur ce vide qui reflète son propre abîme intérieur.

— Euh... Ne saute pas ! — crie une voix féminine derrière lui.

Il se retourne, surpris. C'est une fille qu'il ne connaît pas, elle n'est pas de Sainte-Geneviève, c'est certain. Elle a l'air d'être de taille moyenne, brune aux yeux foncés, avec de longs cheveux qui tombent en cascade sous un sweat à capuche bleu électrique. Ses vêtements sont décontractés, un jean mom et des converses usées aux pieds. Un skateboard est posé non loin d'elle. Elle a tout l'air d'une de ces filles cool qu'on voit dans les soirées, celles que tout le monde veut avoir à ses côtés pour l'ambiance.

— Je ne vais pas sauter, — répond Mathieu, nonchalamment.

— Ouais, sauf que t'es vachement près du bord. Tu devrais reculer un peu, venir par ici.

Mathieu soupire. Il n'avait pas vraiment l'intention de sauter... enfin, pas cette fois. Le courage lui manque, il le sait. Il est trop faible, trop lâche pour passer à l'acte.

Il avance vers la fille, traînant des pieds, sans grande conviction.

— Bien, c'est déjà ça. Comment tu t'appelles ? — demande-t-elle.

— Mathieu. Et toi ?

— Blair. Mais on s'en fout, en fait.

— Si tu veux me draguer, ça sert à rien. — grogne-t-il.

Blair éclate de rire, un rire franc et inattendu.

— Draguer ? Désolée, mec, mais t'es un garçon et j'aime pas les garçons.

— Ah. — fait simplement Mathieu, sans trop savoir quoi ajouter.

— Qu'est-ce que tu fais au bord de la falaise, alors ? — demande-t-elle en posant son skateboard et s'asseyant dessus, ses yeux fixés sur lui, scrutant son âme avec une insistance gênante.

— Je regarde le paysage, ça se voit pas ? — rétorque-t-il, un brin agressif.

Blair le fixe encore, puis prend un ton plus grave.

— Ma cousine a essayé de se suicider, il y a deux ans. Elle s'en est sortie parce qu'elle a fini par demander de l'aide. Je sais qu'on se connaît pas, mais je pense que t'as besoin d'aide, toi aussi. On peut aller en parler à quelqu'un, si tu veux. Sinon, je peux juste être là, si t'as besoin. Même si on se connaît pas, tu peux t'appuyer sur moi. Je suis solide.

Mathieu la regarde avec rage. Pour qui elle se prend, à débarquer ainsi dans sa vie et à prétendre savoir ce qu'il traverse ? Elle ne connaît rien de lui, de sa douleur, de son désespoir. C'est une inconnue, après tout. Comme si elle pouvait l'aider, lui, un être aussi brisé.

— Je n'ai pas besoin d'aide, — lâche-t-il d'une voix froide.

— Bah, t'étais quand même vachement au bord, et je vois bien la détresse dans tes yeux...

— Je t'ai dit que je regardais juste le vide ! Ce vide, il est comme moi. Il me ressemble. Et je suis désolé pour ta cousine, mais je suis pas comme elle. Ce n'est pas parce que tu n'as pas pu la sauver à ce moment-là que tu vas me sauver moi ! Je n'ai pas besoin de ça ! Maintenant, dégage ! On ne se connaît même pas ! — crache-t-il, en colère.

Blair se relève lentement, visiblement déçue par la réaction de Mathieu, mais elle garde son calme. Elle semble comprendre qu'il est dans une douleur trop profonde pour accepter l'aide qu'elle lui offre.

— Je voulais juste t'aider, Mathieu. C'est tout. La parole peut soigner bien des maux, si un jour tu veux parler, n'oublie pas ça. Salut.

Elle remonte sur son skateboard et s'éloigne, son visage disparaissant dans la lumière dorée du coucher de soleil, laissant Mathieu seul avec ses démons. Il s'assoit sur le bitume, l'alcool encore dans sa main tremblante. Chaque gorgée qu'il avale semble nourrir sa colère. Contre lui-même, contre Léna, contre ses amis. Contre le monde entier.

Il boit encore, le goût amer du whisky se mélangeant à l'amertume qu'il ressent au fond de lui. Il déteste ce qu'il est devenu. Il déteste tout.

les étoiles brillent Où les histoires vivent. Découvrez maintenant