A portée d'ailes

Chapitre 3: Petit oiseau devient grand

La voiture s'avançait le long d'une rangée de platanes, bordée de champs en arrière plan. Au-delà des étendues d'herbe verte je pouvais déjà apercevoir le parking, le club house, la piste... En un mot, l'aéro-club des Hélices.

Je connaissais cette route par cœur à présent... et je devais avouer y être particulièrement attachée. Elle menait en effet à un bel endroit, agréable, dans lequel j'avais déjà vécu tant de choses depuis un an et demi. Des souvenirs de vols dans des conditions plus ou moins merveilleuses ou difficiles, de rigolades et de commentaires après un bon vol me revenaient chaque fois que je l'empruntais. Un endroit devenu une seconde maison, chargé de bonnes ondes.

Aujourd'hui, alors que "Paris" de The Chainsmokers retentissait à la radio, mes tripes se serrèrent. Tandis que la voiture tournait pour pénétrer sur le parking, ma mère posa sa main sur mon genou. Elle avait bien conscience de ce qui allait peut-être se passer et des conséquences si cela arrivait... ou n'arrivait pas. Or, vu mon stress, les événements ne se passeraient sans doute pas vraiment comme je l'avais escompté...

-- Je suis sûre que tu vas y arriver, ma belle, me dit-elle. En plus, si ce n'est pas pour aujourd'hui, cela n'empêchera pas que tu voles seule un jour. Considère le chemin parcouru, il est déjà énorme.

J'inspirai un grand coup et souris à ma mère, qui me regardait dans les yeux à la fois fière et très angoissée.

Oui, il y en avait eu des épreuves. Pour certaines personnes, apprendre à piloter était plus facile que pour d'autres et j'entrais sans contestation possible dans la seconde catégorie. Philippe m'avait disputée un bon nombre de fois, j'avais commis beaucoup d'erreurs, souffert à plusieurs reprises pour en arriver là.

Heureusement que je n'étais pas du genre à me décourager sinon j'aurais abandonné et ne serais plus membre du club. La confiance en moi et l'habileté ne faisaient pas partie de mes qualités. Peut-être davantage à présent que par le passé, me corrigeai-je, ne pouvant oublier mes récents progrès et l'évolution suivie que ma mère venait de souligner.

La voiture maintenant garée face à la pelouse qui longeait la piste, je tentai de calmer ma respiration et de retrouver ma sérénité. L'aviation m'avait forgé le caractère et apporte différents éléments, notamment le sang-froid. Eliminer un quelconque stress en l'air était devenu spontané, ne me demandant plus aucun travail sur moi-même. En revanche, je ressentais une profonde anxiété à chaque contrôle de mathématiques ou de physique qui s'annonçait.

Etait-ce car je m'y étais exercée dans un cockpit? Ou parce que la pression et les responsabilités là-haut rêvetaient une importance et un niveau bien supérieurs, le calme devenant donc obligatoire ? Le résultat demeurait incontestable, bien que j'en ignore la cause.

Ce faisant, je contemplai le paysage qui m'entourait que J'avais appris à aimer.Une rangée de fleurs aux couleurs chaleureuses et variées séparait le véhicule du parking recouvert de graviers gris. Des barrières de métal empêchaient les visiteurs de se rendre sur le taxiway, sur lequel les avions se déplaçaient, tout en leur permettant de s'accouder pour les admirer.

-- Oui,acquiesçai-je finalement en réponse au discours de ma mère. On verra bien, de toute façon.

Je pris mon sac et sortis du break Volvo, tendue comme un arc. J'espérais être lâchée car je savais en avoir le niveau. De plus, pour le chiffre, je voulais l'avoir à 16 ans et non 17 or aujourd'hui était ma dernière occasion pour cela. En revanche, voler seule pour la première fois, diriger l'avion sans la quelconque aide ou possibilité de compter sur quelqu'un, en clair avoir littéralement sa vie entre ses mains, était pour le moins stressant.

Je longeai la terrasse de bois sur laquelle les membres s'installaient l'été pour admirer les avions, profiter du soleil, parfois d'un apéritif ou d'un barbecue. Je gagnai le porche du club, protégé par un petit toit de béton et garni d'un banc sur le côté gauche.