Chapitre 5 : Doutes (4/4)

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Seb le regarda, interloqué :

-- Vous venez tous les deux, hein. Je vous prends comme passagers du Golf Alpha et on sera quatre avions en tout.

-- Je ne me sens pas de remonter dans un avion ou dans un quelconque aéronef, avoua-t-il alors.

Notre ami sembla soudain très gêné :

-- Écoute, j'ai entendu ce que te disait Ana et elle a parfaitement raison. Je refuse qu'un autre pilote nous quitte et ne te laisserai pas perdre ce à quoi tu tiens le plus. Oui, je te connais, Lucas, ne le cache pas. Rien ne compte plus pour toi qu'être là-haut. On sera doux, ne t'en fais pas. Exceptionnellement, vous serez passagers du même avion, peu importe le fait que la charge soit un peu lourde pour une patrouille. Vous irez ensemble dans le plus puissant. Cela vous va ?

Lucas serra les dents. Il s'apprêtait probablement à refuser lorsque Seb ajouta :

-- Tu as vu Anaïs aujourd'hui. Penses-tu vraiment qu'elle va te laisser tomber ?

Lucas tourna la tête vers moi et je lui souris, sans réellement savoir jusqu' à quel point Seb avait vu juste. Peut-être un peu trop...

-- Tu sais ce qu' on dit, poursuivit celui-ci. "On tombe, on se relève." C'est la même chose partout. Surtout qu'ici, grâce à toi, vous n'êtes pas vraiment tombés. D'ailleurs, j'y pense, on n'a pas vu Clément ce week-end...?

-- Il est chez sa tante à Bordeaux, répondit le jeune homme.

Nous parvînmes à le convaincre de monter dans le DR 401 que Seb avait désigné pour nous après que j'eus supprimé mon vol réservé sur l'Eurostar. Un appel du président du club annonça  une réunion de Retour d'Expérience, dite REX, le mercredi. En tant que seule personne ayant vécu la situation, Lucas devrait obligatoirement tout raconter aux pilotes rassemblés. Cela permettrait la prise de nouvelles mesures pour savoir comment bien réagir si un tel incident devait survenir à nouveau. Il était aisé de voir que l'adolescent s'en serait bien passé. Cependant, l'importance de son intervention restait malgré tout indéniable, ce dont il avait conscience. D'autre part, savoir Gaultier vivant, lui rendrait le conseil  bien plus facilement supportable.

Seb nous fit donc grimper à l'arrière du Golf Alpha, blanc et bleu, beau et puissant. Nul besoin d'être un génie pour comprendre que Lucas n'avait pas envie d'être là mais je partageais l'avis de l'instructeur sur l'importance de se remettre en selle. Par conséquent, j'essayais de le soutenir, intimidée et hésitante face aux gestes que cela nécessitait. Difficile de correctement séparer comportement amical et ambigu dans une telle situation...

Lucas s'installa à la place arrière gauche, derrière Seb, et je m'assis à sa droite.

Après s'être accordés par gestes de la main, les quatre pilotes démarrèrent leurs machines respectives. Rien que percevoir le bruit des moteurs qui s'éveillaient comme un seul me ravit.

Seb fut le second à quitter sa position pour contribuer à former la courte enfilade d'appareils qui s'avança sur le taxiway.

Ils firent les essais d'avant décollage et le meneur pénétra sur la piste, précédant les trois autres. Tous ne tardèrent pas à s'envoler, suivant un  beau rythme régulier, séparés les uns des autres d'environ quatre secondes. Seb mit plein gaz, tira sur le manche et l'avion s'élança dans le ciel. Voir le paysage s'éloigner sous nos ailes était merveilleux. Les champs, la forêt se découvraient petit à petit dans leur globalité.

Une fois décollés, Seb se retourna brièvement vers nous. Il eut un sourire heureux en notant mon ravissement, bien vite calmé par la mine toujours accablée de Lucas.
Ne sachant trop que faire, je plaçai ma main près de la sienne, lui laissant le choix d'établir ou non un contact, ce qu'il fit.

Nous tournâmes sur la droite, survolant la forêt. Plus loin, nous apercevions notre ville. Aujourd'hui, nous pouvions imaginer les principaux pics de la chaîne montagneuse située à des kilomètres.

Devant nous, l'avion meneur volait légèrement plus haut, semblant danser dans le vent, ondulant légèrement par moments. Derrière, les deux autres fermaient la marche, comme portés par des vagues aériennes et magiques. Nous ne faisions qu'un, coordonnés et doux dans le ciel, pur et sans nuage, ensoleillé. Le spectacle était magnifique et chargé d'émotions.

Après que le premier ait viré, nous passâmes d'un bloc à la verticale des installations. Voir le dessous du Tango Charlie danser au milieu de notre verrière et les deux autres pilotes regarder notre Golf Alpha pour épouser au mieux ses mouvements m'émerveillait. Ce spectacle paraissait tout simplement hors du temps.

La main de Lucas effleurait la mienne. Je tournai la tête vers lui et en profitai pour saluer Georges, pilote d'hélicoptère et membre de la patrouille, qui nous regardait depuis son cockpit. Le jeune homme était beaucoup plus souriant. Il paraissait évident que lui aussi était émerveillé, semblant avoir oublié ce qui venait de se dérouler face à ce spectacle fantastique. L'amélioration de son état  rendit cet instant encore plus intense et paradisiaque.

Nous décrivîmes plusieurs passages avec des organisations disctintes que je distinguais parfois pas. Au contraire, la verdure des champs, des collines, l'azur du milieu dont nous profitions, eux, je les remarquais et admirais.

Bien trop vite à mon goût, le quatuor se détacha pour atterrir en respectant les règles de sécurité.

Seb réalisa un kiss landing sans aucune difficulté apparente. Après avoir rangé les avions, Lucas m'avoua ne pas avoir encore prévenu ses parents de la situation, trop choqué et peiné pour le faire. Nous prîmes un verre au bar, fêtant la vie de Gaultier et le vol fraîchement accompli. Lucas me servit un verre de champagne avec un clin d'oeil sans me demander si je préférais du jus de fruit, également sorti par les pilotes, sans doute par acquis de conscience.

Quand, trois-quarts d'heure plus tard, ma mère arriva pour me ramener à la maison, il se tenait en retrait, mal à l'aise.

-- Peut-on le ramener en ville, maman ? demandai-je après l'avoir présenté.

Celle-ci, qui lui avait jeté un petit coup d'oeil dès le début, eut un grand sourire et l'observa bien plus attentivement.

-- Avec grand plaisir, dit-elle aussitôt.

Il s'installa donc à l'arrière, à côté de moi.

-- Donc, tu pilotes toi aussi ?

-- Oui, Madame, sur le Tétras, répondit-il avec son entrain habituel, sans doute rasséréné par le vol en patrouille et l'accueil chaleureux auquel il avait droit.

Durant tout le trajet, nous conversâmes tous trois sans qu'aucun blanc ne s'instaure. Je n'aurais su dire si ma mère était vraiment à sa place, à discuter ainsi avec un de mes nouveaux amis. Enfin, amis... Je ne pouvais plus nier m'être sincèrement demandé qui il était pour moi en le voyant malheureux et en ressentant tellement sa peine ces dernières heures. Dans tous les cas, lui ne semblait pas gêné et c'était à mon avis le plus important.

Quand nous le déposâmes, il claqua la porte en m'adressant un clin d'oeil. J'espérai que ma mère ne l'avait pas vu car, sinon, j'étais mal. Déjà qu'à tous les coups j'allais avoir droit à de nombreuses réflexions dès ce soir...

A portée d'ailesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant