A portée d'ailes

Senteurs d'été (5/5)

Serrant légèrement les dents, j'effectuai mon tour de piste en tentant de respecter à la lettre les différentes règles mais sans y parvenir totalement. Dans le même temps, je surveillais les conditions météorologiques pour ne pas me faire surprendre par un éventuel vent qui perturberait ma finale et donc mon poser. Le vent permettait de sortir deux crans de volet, me permettant de bien casser ma vitesse et ma portance et donc de descendre aisément. Je ne me détendis qu'après avoir atterri, manoeuvre qui me parut plutôt correcte...

"Grâce ou malgré ma tension ?"me demandai-je sans trouver de réponse.

L'esprit allégé par ce beau vol, encore dans les nuages, je revins détendue au club house. À ma grande surprise, personne ne se tenait dehors pour converser au sujet de tel avion sur le tarmac, de tel décollage ou atterrissage. Une peur perfide commença à me serrer les entrailles au souvenir de la dernière fois que j'avais vu cet endroit vide, bien que je sache qu' il n'y avait aujourd'hui aucune raison de s'inquiéter.

Je rentrai dans le hall et m'installai seule sur une table en bois, pianotant sur mon portable pour demander à ma mère quand elle pourrait revenir me chercher. Mon père n'avait en effet pas de téléphone, le contacter s'avérait donc difficile ce qui n'était parfois pas du tout pratique... Dans mon dos, des éclats de voix provenaient de la salle, émanant de pilotes qui préparaient ou debriefaient un vol. Je laissai traîner une oreille curieuse car entendre les anecdotes de virées pouvaient se révéler aussi drôles qu'instructives. Lucas avait disparu, je me demandais où. Pas non plus trace de Clément, j'avais dû le croiser en l'air sans le savoir.
Cinq minutes plus tard, une voix retentit derrière moi :

-- Bel atterrissage !

Reconnaître ce timbre ne me demandait plus aucun effort. Je me retournait aussitôt vers Lucas.

-- Merci ! Oui, je suis plutôt contente vu que c'est un de mes premiers en solo.

-- Tu peux, répondit-il en se plaçant en face de moi, appuyant ses coudes sur la table de bois poli et m'adressant un clin d'oeil. Au fait, j'ai demandé à mes parents et je viens avec plaisir samedi soir.

-- Quelle soirée ?

Cette voix, en revanche, m'était moins familière. Me détournant de mon interlocuteur, je découvris Clément. Il se tenait dans l'embrasure de la porte avec deux sacoches à la main, l'une contenant le casque qu' il utilisait pour voler et l'autre les papiers de l'appareil utilisé. Souriant, il s'avança vers nous et nous salut l'un après l'autre.

Le jeune homme avait posé cette question de manière tout à fait naturelle, semblant très à l'aise presque un peu supérieur. Comme si la fête le concernait forcément. Ce comportement faillit m'ôter un peu de mon envie de l'inviter mais je le dis malgré tout sans hésiter.

-- Désolé, Ana, samedi je pars à Annecy pour le week-end. J'espère que tu ne m'en voudras pas.

A son ton, il me sembla que rater mon anniversaire n'était pas un caillou dans sa chaussure. Lucas eut un mouvement du bout des lèvres vers le bas, si bref que je ne pus être certaine que cela s'était bien passé.

-- Tu ne sais pas ce que tu rates, dit-il avant que je n'aie dit mot.

-- Tu y vas toi ?

-- Oui, sans aucun doute, répondit le jeune homme en m'adressant un large sourire, comme s'il tentait de me rasséréner.

-- Dommage. Mais Anaïs, je ne pourrai vraiment pas, désolé.

-- Anaïs ! Comment s'est passé ton vol ? Je t'ai vue sur les réservations !

L'arrivée de Philippe, que j'avais reconnu avant même de le voir grâce à sa manière de me parler, eut le mérite de me sortir d'une situation gênante. Il tenait également des sacoches à la main, il rentrait donc lui aussi de vol. La présence d'un inconnu d'une trentaine d'années légèrement en retrait derrière lui me le confirma. Ce devait être un nouveau venu qui entamait sa formation. Je me levai de table pour aller à leur rencontre et lui adressai un rapide sourire accueillant avant de me focaliser sur mon instructeur.