A portée d'ailes

Senteurs d'été (4/5)

Nous restâmes un moment à converser agréablement, échangeant quelques mots avec les autres pilotes qui passaient par là.

- Lucas, Anaïs, j'ai l'impression que vous connaissez du monde ! Votre intégration a l'air de bien se passer ? demanda Pierre.

- Evidemment, des petits jeunes aussi gentils qu'eux ! Et une fille en plus ! répliqua aussitôt d'un ton léger Seb, comme s'il s'agissait d'une évidence.

- C'est sûr qu'une bonne pilote fille ne passe pas inaperçue ! reconnut Pierre. Je dis cela car on n'en rencontre pas fréquemment. Heureusement d'ailleurs, manquerait plus que la population du club se féminise !

Il avait prononcé les deux dernières phrase sur un ton que je perçus comme taquin. J'eus la sensation qu'il évaluait ma réaction pour voir si poursuivre la blague était une bonne idée. Si ce genre de propos me paraissait sexiste à mon arrivée et me dérangeait, je savais maintenant que cela faisait partie de l'humour en vigueur dans les aéro - clubs et que la majorité des pilotes ne le pensaient pas. Il fallait donc s'y habituer et laisser filer ou alors jouer avec la situation. N'ayant sur le moment rien de très pertinent à répliquer, je choisis de ne pas relever. Se tournant vers les deux autres hommes, il ajouta :

--Sérieusement, vous vous imaginez si les filles prennent possession du club ! Bonjour la hausse des accidents, c'est bien connu !

Je secouai la tête en levant les yeux au ciel tandis que Seb choisissait d'abonder dans son sens en blaguant et que Lucas ne disait mot, ignorant peut-être sur quel pied danser. Un peu plus tard, je me dirigeai vers l'Eurostar pour effectuer la pré-vol réglementaire avant chaque voyage dans le ciel. Je pus me féliciter d'être toujours attentive lors de cette inspection car le bouchon d'essence était mal vissé et partait facilement. Je dus donc le refixer précautionneusement avant de sortir la machine du hangar sans laisser le temps aux garçons d'arriver pour m'aider : une fille pouvait très bien se débrouiller seule. Je savais cette motivation un peu bête : malgré leurs dires, ils avaient parfaitement conscience que nous gérions très bien toutes les manœuvres nécessaires, nous ne serions pas là sinon. Malgré tout, ne pas bénéficier d'une aide quelconque me plaisait. Peut-être étais-je un peu fan d'indépendance...

Une fois le moteur lancé, l'esprit tout entier tourné vers le vol que je m'apprêtais à effectuer et parfaitement concentrée, je quittai le parking et rejoignis le taxiway. Après m'être arrêtée au point d'attente pour effectuer les essais nécessaires et attendre que l'appareil en finale se pose et dégage la piste, respectant ainsi une des règles de sécurité les plus élémentaires, je m'engageai sur la piste en herbe qui jouxtait la dure. Celle-ci se distinguait de la première car elle était bétonnée. De plus, on devait d'abord traverser son seuil pour accéder à la seconde, plus bosselée.

Une fois en place, bien centrée et axée, je poussai la manette des gaz à fond, pris de la vitesse et, ayant atteint les quatre-vingt kilomètres par heure, tirai doucement sur le manche pour décoller. Pour ce vol, je choisis dans un premier temps de profiter du paysage qui s'offrait à moi, survolant une forêt et un circuit automobile puis Meulière-sur-Onge. Le village semblait aussi calme que d'ordinaire, je crus distinguer un trafic plus calme sur l'autoroute. Je pus même apercevoir quelques péniches dans le petit port du canal situé à l'Ouest du village. La forêt peuplant la montagne était aussi belle et verte que d'ordinaire et l'antenne de communication, semblable à un arbre gris métallique, se détachait très nettement. Même petite, elle m'avait toujours attirée sans que je puisse m'en expliquer la raison. Peut-être parce qu'on la distinguait de partout du fait de sa taille, de sa couleur et de sa position en surplomb des plaines. Depuis toute petite, lorsque je partais me promener avec ma famille et que nous empruntions des routes ou des sentiers de campagne, je la voyais souvent. Elle était ainsi pour moi comme un repère, une sorte d'œil ami toujours présent au loin. Il était donc naturel que j'apprécie en faire le tour depuis le ciel maintenant que cela m'était devenu possible.

Je passais justement à sa gauche. Ayant sans doute un peu trop serré ma route pour l'admirer, je sentis des secousses ébranler soudain mon appareil. Rapidement, j'orientai le manche vers la gauche pour lutter contre la secousse qui venait de droite et éloigner ainsi ma trajectoire. Ce petit incident ne me dérangeait pas : en tant que pilote, il me fallait obligatoirement être à l'aise avec ces turbulences et savoir les contrer. De plus, j'en avais vu des bien pires. Je devais juste arranger la situation. En réalité, c'était plutôt le contraire : comme elles n'étaient pas très importantes, elles ne faisaient que pimenter légèrement ce vol tranquille.

Après avoir admiré le lieu, je dardai mon regard sur le lac, immense tache de bleu au milieu des immeubles et des maisons. A chaque fois je le trouvais toujours aussi beau. Même si ce paysage ne m'émerveillait plus dans le sens où je le connaissais à présent par cœur, chaque vol demeurait un régal car je redécouvrais ces espaces que j'appréciais tant, nimbés d'une lumière toujours différente du fait de l'éventuelle présence de nuages, de l'heure de la journée, de la saison... De plus, les conditions ne se valaient jamais. Impossible dans ces conditions de se lasser.

Je commençai à rentrer, une préoccupation enflant petit à petit dans mon esprit : je n'avais pas encore l'habitude de réaliser des kiss landings en étant seule à bord. Or, je voulais que cet atterrissage soit impeccable : de nombreuses personnes, dont Lucas mais aussi Seb, se tenaient sans doute dehors, observant les passages des avions. D'autre part, si jamais ils étaient rentrés, je savais que mon annonce à la radio, qu'ils entendraient de l'intérieur du fait du poste situé dans le hall, risquait fort de les faire ressortir.