Chapitre 5 : Doutes (2/4)

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Lorsque la voiture se gara sur le parking, le doute revint, oppressant. Aussitôt, j'explorai rapidement du regard les environs des hangars, cherchant anxieusement la moindre anormalité. Rien. Pas d'avion abîmé sur la piste ou de camion de pompier garé. Une aussi grande fréquentation que d'ordinaire régnait sur la piste. La terrasse, elle, était vide ce qui n'arrivait peut-être que rarement en cette saison mais n'était pas pour autant un signe d'accident ou de problème.

-- Profite bien de Lucas et hâte de le rencontrer, me souffla ma mère sur un ton malicieux en me déposant.

Je hochai la tête sans avoir vraiment écouté ce qu' elle venait de dire : j'avais d'autres soucis en tête. Elle repartit après m'avoir vue m'éloigner vers l'intérieur du club d'un pas pressé. Je restais en quête du moindre indice expliquant le message de Lucas. Recherche bien sûr motivée par mon immense peur de trouver la réponse.
                 *  Média
A l'intérieur, je le trouvai assis sur une chaise, blanc comme un linge, le regard dans le vide. Il leva mollement le regard vers moi et m'adressa un faible sourire tandis que je me précipitais vers lui, m'exclamant :

-- Qu'est-ce qui se passe?

-- Il y a eu un accident, m'informa la voix de Seb.

Je tournai la tête vers le bar où il préparait un remontant qu' il ne tarda pas à apporter au jeune homme. Mon coeur avait raté un battement, ma respiration était devenue plus irrégulière et je sentais qu' une pierre avait élu domicile dans mon ventre.

-- Gaultier transportait Lucas, je ne sais pas si tu vois...

Évidemment que je le connaissais, il fréquentait déjà activement le club à mon arrivée. Pilote d'ULM et d'avion,  il apportait toujours un peu de son énergie positive lorsque nous le croisions. Âgé d'une soixantaine d'années, c'était un photographe réputé, facilement blagueur, franc et tête-en-l'air, ce qui le rendait très attachant. Pour avoir déjà volé avec lui de nombreuses fois, je savais son sérieux et son attention indéniables là-haut. Qu'avait-il donc bien pu survenir ?

Je plongeait un regard anxieux et acéré dans les yeux de Seb qui déglutit avant de poursuivre :

-- A la pré-vol tout allait bien, vraiment...  mais Gaultier a fait une crise cardiaque en vol. Lucas a dû prendre les commandes pour atterrir en urgence en plein milieu d'un champ à plusieurs kilomètres. Il a immédiatement appelé les urgences et le secrétariat des Hélices et Gaulthier a été transporté à l'hôpital. Pour le moment, nous n'avons aucune nouvelle.

Je tombai assise sur la chaise voisine, prête à vomir et à fondre en larmes, luttant pour conserver mon calme. Seb n'avait pas besoin d'une deuxième personne fragilisée et toute l'attention devait être centrée sur Lucas. Ma présence lui était indispensable. Je blottis ma tête contre le cou de celui-ci sans savoir si je le faisais pour lui prouver ma présence et mon soutien grâce à mon contact ou au contraire car je pressentais que le toucher m'apaiserait. Sans doute un savant mélange des deux. Le visage de Gaulthier me hantait. Je ne supportais pas de penser que je ne le reverrais peut-être jamais.

-- L'atterrissage...

Sentant la tête de Lucas appuyer légèrement contre la mienne, je me permis de timidement déplacer ma main sur son dos, tentant de l'enlacer, de lui procurer un minimum de réconfort.

-- J'avais déjà bien travaillé les atterrissages avec Patrice heureusement, fit-il d'une voix éteinte, le regard toujours dans le vague. Après, piloter, gérer une telle action, sur le Tétras et sur un DR 400 n'a rien de semblable....

-- Effectivement, cela n'a rien à voir, coupa Seb. Tu as très bien géré Lucas, d'accord? Excellemment même. Si la situation n'était pas ce qu'elle est, je serais fier de toi et heureux d'avoir au club un jeune pilote aussi mature. Deux pilotes en réalité, ajouta-t-il en me regardant. Patrice penserait de même. Et imagine Gaulthier lorsqu'il nous reviendra.

Je serrai les dents avec force. Seb savait pertinemment que si il s'en sortait, nous serions face à un miracle. Lucas aussi en avait parfaitement conscience. Je le sentis d'ailleurs se raidir plus encore. De plus, au ton employé par Seb, je compris que je ne savais pas encore tout. Mon ami me le confirma immédiatement :

-- Ce que Seb ne précise pas, c'est que le train d'atterrissage a pris un mauvais coup. L'avion a été emmené et va devoir être réparé. Donc en fait, non, je n'ai pas géré.

Ces mots me révulsèrent. Je retirai ma tête d'un coup sec et lui pris les mains avec  force. Je le sentis bouger comme si il préférait me sentir contre lui. Mais je ne pouvais pas lui laisser dire une telle chose, non !

-- Regarde-moi dans les yeux, Lucas, ordonnai-je. Tu as fait ce que tu as pu. C'est déjà tellement impressionnant. Okay okay tu t'en fiches royalement et je te comprends, dis-je précipitamment en voyant son expression. Mais merde si Gaulthier survit ce sera grâce à toi. Tu es en vie. Vous auriez pu mourir tous les deux. C'est quoi un train abîmé en comparaison à la situation et au stress que tu as dû affronter? Tout seul, en plus ! Je ne pense pas que n'importe qui aurait pu faire aussi bien que toi à ta place. Je ne sais pas si moi j aurais pu. Seb, oui, mais parce qu' il est instructeur.

Achevant de parler, je me rendis finalement compte que des larmes coulaient sur son visage. Je compris alors que le bruit étrange que j'avais entendu durant ma tirade était en réalité un grognement, son ultime tentative pour les barricader.

-- Fais sortir, mon garçon, fais sortir.

Les douces paroles de Seb et son ton ému déclenchèrent une tornade de pleurs. Le Lucas si calme et joyeux dont j'avais l'habitude  était soudain devenu un adolescent mal en point, montrant sa souffrance. Un adolescent que mon cerveau ignorait comment appréhender, d'autant plus que l'angoisse pour Gaulthier et ses proches le paralysait et que découvrir un tel aspect du jeune homme le déroutait. Mon cœur prit donc le relais. Il me fit le prendre dans mes bras et enfouir mon visage dans le creux de son cou en tentant tant bien que mal de rester forte et de ne surtout pas vomir.

Seb posa longuement une main dans le dos du jeune homme ébranlé puis donna une petite tappe gentille sur mon épaule.

-- Je vais vous laisser tous les deux. Et, Anaïs, pour ce que tu disais tout à l'heure, je ne peux pas en être certain mais... Sache que, te connaissant, je suis convaincu que tu aurais fait quelque chose de pas mal non plus si tu avais dû.

Les mots de Seb, bien que touchants, ne me réconfortèrent pas du tout. Gérer un tel événement ? Non, je n'aurais pas su faire, je n'étais pas assez douée pour cela. De plus, envisager que cela ait pu survenir une fois était déjà bien assez difficile, presque impossible, sans imaginer ce qui se serait passé si j'avais remplacé Lucas. Etonnamment, je ne ressentais pas la moindre envie de le découvrir...

A portée d'ailesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant