Les paysages n’avaient pas changé. J’avais eu le temps de me calmer, et je ne m’étais rarement sentie aussi sereine qu’en ce moment, goûtant l’air frais qui m’arrivait en plein visage. Celui de mon enfance. Je faisais le trajet dans mes souvenirs, pendant que la navette avalait les kilomètres et me rapprochait de ce qu’avait été ma vie avant. Pas celle d’avant le ranch ni celle d’avant mes grands-parents. Mais celle d’avant ma différence. Je demandai au chauffeur de s’arrêter.
— Il n’y a rien ici. Vous êtes certaine de l’adresse ? Il n’y a qu’un croisement, des plaines d’un côté et des collines de l’autre.
— Nous sommes exactement au bon endroit…
Je m’engageai sur cette bande de terre une fois le mini bus disparu, souhaitant parcourir seule le chemin qui me mènerait là où j’aurais dû me rendre depuis bien longtemps.
— Bonjour p’tite.
— Vous m’avez reconnue ! J’ai si peu changé ?
— Tu n’as pas beaucoup grandi. Mais tu es devenue une jolie jeune femme. Si je t’avais croisé dans la rue, je ne t’aurais pas reconnue… peut-être que si, à cause de ça, ajouta-t-il en désignant ma cicatrice. Et puis, tu es la seule qui court à travers les prés et passe par-dessus ma barrière alors qu’il y a un portail grand ouvert.
Je me jetai dans ses bras qu’il referma autour de moi.
— Je suis désolée de ne pas être venue avant Charlie… Vous m’avez manqué…
— Moi aussi, je suis heureux de te revoir. Rentre. J’étais en train de te préparer un bol de chocolat chaud.
Je décollai ma tête de la poitrine de Charlie, et le regardai avec un sourire étonné.
— Vous vous rappelez de ça aussi ?
— Je t’ai suffisamment servi de chocolats chauds lorsque tu étais gamine pour l’avoir oublié.
Rien n’avait changé. Simplement vieilli. La même table en formica blanc était disposée au centre de la pièce. Les mêmes chaises, avec leurs pieds en métal, la même cuisinière en émail blanc, le même carrelage jaune au mur. Seul le linoléum du sol avait été changé. Je retrouvais les odeurs de mon enfance, un mélange de plats mijotés, de produits ménagers et de cire.
Sa voix forte et sa carrure plutôt imposante étaient restées les mêmes. Charlie non plus n’avait pas changé. Seulement vieilli. Il se déplaçait moins vite, son dos était plus courbé, ses cheveux un peu plus gris et clairsemés, sa peau un peu plus fripée, son tour de taille un peu plus rebondi, mais son regard était toujours aussi vif et respirait l’intelligence. Il était toujours Charlie, le même que dans mes souvenirs.
Je m’assis sur la même chaise qu’il y a dix-huit ans, toujours face à la porte, et le regardai me servir mon cacao, la même marque. Le packaging de la boîte était la seule chose de rafraîchi dans cette pièce. Je me sentais bien. En sécurité. Le seul endroit où rien ne pourrait et ne pouvait m’arriver. Le seul endroit où je pouvais entrer et laisser mes problèmes, mes doutes et mes questions sur le seuil. Le seul, également, où je pouvais baisser ma garde, me détendre, respirer et vivre.
Je regardai Charlie préparer des sandwichs au beurre de cacahuète.
— Merci, mais un aurait été largement suffisant.
— T’es trop maigrelette.
— J’ai toujours été comme cela.
— Oui, mais avant t’étais une gamine. Raconte-moi ce que tu es devenue, et mange !
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L'ombre D'une Autre
Любовные романыAvril 1996. Deux fillettes de neuf ans disparaissent à quelques heures d'intervalle. Melinda, dans l'état du Montana. Samuelle, dans celui du Wyoming. Seule Samuelle sera retrouvée quatre jours plus tard. Amnésique et souffrant de profondes contusio...