Chapitre 17

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La nuit tombait et nous rejoignîmes le campement. Je m’installai près du feu, m’écartant volontairement des autres, les documents de Suzy à la main et j’entamai ma lecture. Adam présentait un parcours tout ce qu’il y a de plus classique. À ce stade de ma lecture, je commençai réellement à douter. Il n’était finalement qu’un type banal. Détestable, mais ordinaire. Cette réalité me divisa. À la fois déçue et en même temps satisfaite. Le bon côté des choses, est que j’éliminais un problème. Restait à vérifier un dernier point pour boucler ce premier dossier ; le sac à dos. Ensuite, j’attaquerais le second, et pas des moindres…

Un cri déchirant me glaça le sang. Je relevai la tête vivement pour croiser le regard de Max. Je ne lui avais jamais vu cette expression, l’inquiétude marquant son visage. Il se leva d’un bond et ramassa sa carabine. Tyler et Patrick le rejoignirent. J’accrochai Adam du regard qui, pour une fois, reflétait une angoisse bien palpable. Max lui colla une carabine dans les mains. Je me levai à mon tour et m’apprêtais à les suivre, incapable de définir au juste ce qui m’inquiétait le plus. Ce cri, ou l’absence de Tim et Amed.

— Restez là ! m’intima Max en me plaçant dans les mains la troisième carabine. Vous serez plus en sécurité ici. Restez près du feu et gardez la carabine.

Tout se passa très vite, et ce fut impuissante et abasourdie, que je regardai le groupe s’enfoncer dans les bois. Je me retrouvais seule avec pour seuls compagnons le crépitement du feu et une Winchester 94 froide comme la glace.

Tout me parut beaucoup plus sombre, beaucoup trop silencieux, terriblement angoissant. J’essayai de calmer les irrégularités de mon cœur, qui s’était considérablement emballé depuis que j’étais enveloppée par cette oppressante solitude. Mes démons me rattrapaient. Des milliers de petits yeux brillants m’observaient. Je sursautais au moindre bruissement, au simple mouvement du vent si léger soit-il. Même sa caresse m’apparut comme une gifle. La peur était là, derrière chaque arbre, sous chaque rocher, flottant autour de moi, rôdant, sournoise, attendant le bon moment pour frapper. Cet adversaire puissant, mobile et insaisissable s’installa insolemment dans chaque molécule de mon corps sans que je parvienne à l’en empêcher. La clairière se rétrécit, ses murs de bois se resserrèrent, l’hostilité des lieux m’étouffa. Le feu qui avait été un élément sécurisant renvoya ses ombres menaçantes sur les parois qui se rapprochaient toujours. Le ciel se mit en interaction, abaissant lentement sa voûte, m’écrasant, m’asphyxiant. Je suffoquais. Mes oreilles bourdonnaient et me renvoyaient l’écho de bruits sourds, inquiétants, qui se rapprochaient. Il était accompagné d’un son filant que je ne parvins pas à reconnaître, comme une respiration hachée, torturée. Inhumaine.

Je devais absolument me reprendre et je fermai les yeux. J’isolai les bruits et leur donnai un nom. Je réussis cette périlleuse voltige après un moment qui me parut interminable. Lorsque je les rouvris, je découvris un environnement d’une normalité insolente. Même le ciel avait retrouvé sa légèreté.

Les bruits sourds s’éloignaient, le son filant se fit quasiment inaudible. Les monstres n’existaient plus. Pourtant je les avais entendus. Ils n’étaient que les battements désordonnés de mon cœur et ma propre respiration. Mes pires craintes venaient de se réaliser. J’avais peur, mais peur de moi…

Pour maintenir cet équilibre plus que fragile, je me représentai un objet du quotidien et je l’isolai, m’accrochant à lui comme à une bouée de sauvetage. Un objet dont je connaissais la forme, la matière, l’utilité. Un objet qui m’obligerait à m’accrocher à la réalité et m’empêcherait d’être de nouveau submergée par la peur et engloutie par mes souvenirs. Un sac à dos… Un sac à dos vert kaki, simple, un logo imprimé sur la poche de devant. Le sac à dos d’Adam ! Cette image me sortit de ma torpeur. Je me jetai à genou au pied de la tente d’Adam qu’il n’avait pas eu le temps de refermer. Je relâchai la pression de mes doigts autour de la carabine pour ensuite la poser. J’attrapai le sac, mais mes mains tremblaient tant que je m’y repris à plusieurs fois avant de pouvoir ouvrir la fermeture.

L'ombre D'une AutreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant