Chapitre 7

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Je grimpai dans la voiture de location. Un dur retour à la réalité. J’étais loin du confort des fastueux véhicules de mon patron. Elle ne sentait pas le cuir, mais de vieux relents de tabac ainsi qu’une forte odeur d’humidité.

Allez, voilà que tu fais la fine bouche maintenant !

Je devais garder en tête que d’ici quelques semaines, tout ceci serait loin. Très loin… J’eus pour seul écho le bruit caractéristique d’une batterie à plat. Je partis à rire, mais un rire nerveux. Comment parvenais-je à collectionner autant de bourdes en si peu de temps ? Je faisais mentir toutes les lois de la statistique. Je posai mon front sur le volant.

Réfléchis, reprends-toi. Souffle un bon coup. Respire et souffle.

Un coup tapé à la vitre me fit sursauter. Il ne manquait plus que lui. Mark ouvrit la portière et sans un mot m’invita à sortir.

— La batterie est à plat.

— J’ai cru entendre. Venez, ce n’est pas un problème. Vous prendrez un des véhicules du ranch.

— Si c’est un problème, m’emportai-je. D’ailleurs, tout est sujet à problème ici. Tout va de travers, rien n’a de sens. Ce que je fais n’a pas de sens. Ce que je veux n’a pas de sens, ce que je ressens n’a pas de sens. Vous ! continuai-je en le pointant du doigt. Vous non plus n’avez pas de sens. Je ne comprends pas le sens de ce que vous faites, de ce que vous dites. Je ne comprends rien à votre façon d’agir, à vos sous-entendus. Vous et cet endroit me faites perdre tous mes repères. Je n’en peux plus de tout cela. Et puis, je n’en veux pas de votre voiture. Je veux la mienne. Donnez-moi des câbles. Je me débrouillerais. De toute façon, j’ai l’habitude. Je n’ai pas besoin de votre aide.

J’étais essoufflée. J’avais parlé trop, trop vite, trop longtemps sans prendre le temps de m’oxygéner. Je me sentis prête à m’effondrer, dans un état de totale hébétude, les mots de Martha résonnant toujours. Malgré mes propos décousus, Mark ne fit aucun commentaire. Il se dirigea vers les baraquements. J’observai sa haute silhouette s’éloigner de sa démarche souple que je commençais à connaître. C’est la tête vide que je regardai sans le voir le 4 x 4 remonter l’allée pour se placer face à ma voiture. Mark en descendit et ouvrit les capots des deux véhicules pour y brancher les câbles de démarrage. Ma voiture partit au quart de tour. Il ne lui manquait qu’une impulsion. Un peu comme moi à cet instant. Il me manquait des batteries. J’étais en parfait état de marche, il me manquait uniquement cette petite étincelle pour me voir partir. J’étais éteinte. J’étais là. Mais déconnectée. La voix de Mark m’extirpa de mon état second. Lui aussi, je le regardai sans le voir. La seule chose que je perçus au-delà de ma transe fut l’inquiétude dans sa voix. Elle me parvint si lointaine, ouatée, que je me demandai si c’est bien à moi qu’il s’adressait. Je sentis également une pression sur chacun de mes bras. Ce fut une sensation étrange, comme si ce n’était pas ou plus mon corps. Pourquoi n’entendais-je pas clairement ses paroles ? Pourquoi parlait-il si lentement ? Pourquoi avais-je la tête si lourde ? Sa voix me parvint de plus en plus distinctement, la pression se fit plus forte sur mon bras et derrière ma nuque. J’ouvris les yeux, surprise qu’ils fussent fermés. Son visage au-dessus du mien trahit une profonde inquiétude.

— Comment vous sentez-vous ? demanda-t-il, inquiet.

— Bien. Pourquoi ?

— Vous vous êtes évanouie.

— Ça, ça m’étonnerait ! Je ne tombe jamais dans les pommes, lançai-je en essayant de me relever.

Il m’y aida, mais j’avais les jambes en coton et j’admis que sa proximité était la bienvenue.

L'ombre D'une AutreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant